dimanche 1 juin 2014

Les fleurs de Tante Claudine

Vous n'avez peut-être pas oublié Tante Claudine, une parente de mon mari, ni son goût pour les enterrements, les maladies graves et même les amputations.
 
Il faut pourtant lui rendre justice et compléter ce tableau, un peu sombre, en vous expliquant combien, en contrepartie, Tante Claudine raffole des naissances.
 
Au mois de janvier dernier, mon mari lui a envoyé une carte de vœux lui annonçant l'arrivée prochaine d'un cinquième enfant dans notre foyer.
 
Tante Claudine nous a téléphoné quelques jours plus tard ; et c'est mon mari qui a eu le plaisir de recevoir ses chaleureuses félicitations.
 
- Bonjour, c'est Tante Claudine. Euh...
 
Tante Claudine semblait marcher sur des œufs.
 
- Nous avons bien reçu votre carte... On a été très étonnés...
 
Tante Claudine fait une pause avant de reprendre.
 
- Oui, on ne s'y attendait pas du tout... On s'était dit, pour votre quatrième enfant, qu'après trois garçons vous vouliez une fille... Mais là... un cinquième enfant... on n'a pas compris...
 
Il est vrai que mon mari et moi avions malencontreusement oublié de demander la permission de Tante Claudine avant de songer à agrandir la famille (et que nous avons désormais une fille).
 
Quelques mois plus tard, il y a deux semaines, mon mari a repris son téléphone pour annoncer l'heureuse nouvelle de la naissance du cinquième enfant en question.
 
- Félicitations, a concédé Tante Claudine qui, à dix heures du matin, sortait à peine du lit, avant d'enchaîner sans transition : Tu sais que j'ai eu des nouvelles d'Adam ?
 
Et mon mari d'écouter par le menu les dernières nouvelles de l'unique petit-fils de Tante Claudine, avant que celle-ci, une demi-heure plus tard, ne songe à s'enquérir de la santé de notre nouveau-né.
 
Cela n'a pas empêché Tante Claudine de faire livrer à notre domicile une magnifique composition florale, comme elle le fait généreusement à chaque naissance – et même pour la cinquième : Tante Claudine n'est pas rancunière. Nous en avons remercié Tante Claudine et Oncle Maurice par un petit mail reconnaissant.
 
Deux jours plus tard, un dimanche soir, nous trouvions un message sur notre répondeur téléphonique – deux messages, même. C'était Tante Claudine.
 
- Bonjour, je voulais savoir si vous avez téléphoné à Juliette pour lui annoncer la naissance.
 
Tante Claudine ne s'était jamais enquise auparavant de savoir si nous informions Juliette, sa marraine, des naissances de nos enfants. Maintenant que Juliette a déménagé tout près de chez elle, et que Tante Claudine ne lui a rendu visite qu'une seule et unique fois en deux ans, il semblerait que Tante Claudine compte sur nous pour compenser ses propres insuffisances.
 
Le second message avait été laissé juste après le premier.
 
- Je voulais aussi vous demander si vous pouviez faire une photo de tous les enfants avec les fleurs, pour que je puisse les voir... les fleurs. Et une photo de tous les enfants avec Albane. Et avec les fleurs. Et puis ensuite si Albane peut prendre les enfants avec leur papa... et avec les fleurs, et nous envoyer les photos.
 
Les fleurs de Tante Claudine trônent sur la table de la salle à manger depuis une semaine. Elles sont splendides, quoiqu'un peu fanées maintenant, mais – est-ce l'alliance audacieuse du rose fushia et de l'orange vif ? – je n'éprouve qu'un plaisir mitigé à leur vue...
 

Les fleurs de Tante Claudine dépérissent à vue d’œil...
Le nouveau-né, lui, est on ne peut plus florissant !