Il y a des moments dans la vie où tous vos a priori les plus fermement ancrés peuvent être balayés en un clin d’œil. C'est ce qui m'est arrivé il y a deux jours lorsque je suis allée rendre visite à la maman de l'adolescent dont la conversation vous a amusés et charmés autant que moi-même. Pendant que les enfants jouaient au salon, nous avons bavardé dans la cuisine, et j'ai eu le déplaisir de voir tomber une à une les confortables certitudes dans lesquelles je me complaisais jusqu'alors.
Première certitude : la santé est dans l'assiette
Elle a commencé à me donner des nouvelles de ses pieds dont elle vient de se faire opérer, avant de me transmettre les conseils de son pédicure.
- Les podologues vont avoir de plus en plus de clients dans les années qui viennent, parce que les gens se chaussent n'importe comment.
- Ah bon ?
- Surtout, il ne faut jamais porter de chaussures pointues, c'est catastrophique. (J'ai jeté un coup d'oeil circonspect à mes bottes : trop pointues ?). Pas de chaussures plates, c'est l'horreur pour les pieds (une pensée pour mes trois paires de ballerines), pas de chaussures trop étroites (un soupir en songeant à mes escarpins), pas de tongs, c'est pire que tout (ouf, je n'en porte jamais), et surtout, surtout, un bon contrefort, y compris pour vos chaussons (dommage pour mes confortables mules en velours).
- Ah bon ?
Conclusion :
La santé est dans la chaussure
Deuxième certitude : le pharmacien est mon ami
Le fils aîné est rentré de la pharmacie avec un lot de médicaments pour sa mère, qui commence à sortir les boîtes une à une.
- Il m'a mis un générique ! Je n'aime pas du tout cela. Ils disent que c'est pareil, mais moi, la dernière fois, j'ai eu des vomissements et des crampes d'estomac, j'ai dû arrêter le traitement. Et de toute façon je les refuse pour les enfants. On ne sait pas quels sont les effets secondaires, il faut attendre dix ou vingt ans pour être certain qu'ils sont inoffensifs !
- Ah bon ?
Conclusion :
Ne tombons jamais malade, c'est meilleur pour la santé
Troisième certitude : je sais comment soigner mes enfants
Désireuse de changer de sujet tout en exploitant les connaissances médicales de mon interlocutrice, je lui demande si elle est satisfaite de son pédiatre, expliquant que je n'ai pas une confiance absolue quant au médecin généraliste qui suit mes enfants.
- Ah mais de toute façon, me dit-elle, attentionnée, il faut faire suivre ses enfants par un pédiatre. On ne demande pas à un garagiste de faire le travail d'un plombier !
- Ah bon ?
Conclusion :
On ne débouche pas le nez d'un enfant avec du destop
Quatrième certitude : je suis en bonne santé
Ma fille s'agite sur mes genoux.
- Vous avez commencé la diversification alimentaire ? Ne le faites pas trop tôt, elle a de l'eczéma, elle doit être allergique.
- J'en ai aussi parfois, ça doit être de famille...
- Mais vous savez, faites attention : l'an dernier, j'avais une plaque rouge qui me démangeait depuis plusieurs mois, je pensais que c'était de l'eczéma, le dermatologue de mon fils m'a dit de prendre rendez-vous, il n'a pas su ce que c'était, il a demandé une analyse. C'était un cancer...
- Ah bon ?
Je vous passe le détail de sa récente opération de la rate, de celle de ses oreilles – la pauvre a été bien éprouvée en l'espace de quelques mois -, des allergies respiratoires de son fils aîné et de la rhinite de son cadet.
Sur le chemin du retour, je me suis sentie vaguement mal à l'aise, comme prise d'un semblant de nausée et de démangeaisons diffuses ainsi que d'une étrange claudication, ne sachant plus très bien quel est réellement mon état de santé, si je serai encore vivante dans une semaine pour mon rendez-vous chez le dermatologue, si je ne devrais pas marcher pieds nus, et si les joues roses de mes enfants ne sont pas le symptôme d'une atroce maladie inconnue des médecins généralistes...
Conclusion :
Parler de médecine entre amis est mauvais pour la santé (et pour le moral)
Google aussi est votre ami, ne lui parlez jamais de votre santé
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