Pendant les dernières vacances de
février, j'ai reçu un texto de l'une de mes amies.
« Veux-tu venir goûter avec les
enfants cet après midi ? Je vais faire des crêpes. »
Dans un premier temps, j'ai été
contente, parce que j'aime bien cette amie, j'aime bien les crêpes
aussi, et je me suis dit que ce serait une bonne idée que mes
enfants aillent jouer avec des camarades et accessoirement déranger
un autre appartement que le mien juste pour une après midi de cette
semaine pluvieuse.
Alors j'ai répondu très vite.
« Avec
plaisir Bénédicte ! On arrive après la sieste »
Mais
à peine avais-je envoyé le message j'ai un peu déchanté. Je me
suis subitement souvenue qu'il y a deux ans, j'avais déjà été
invitée à manger des crêpes chez cette même amie, et que ce
qu'elle appelait crêpes, en dépit de toute la gentillesse avec
laquelle elle les avait préparées pour nous, ressemblait à une
épaisse galette de pâte quasi crue à l'intérieur, quasi brûlée
à l'extérieur, et que je n'en avais pas gardé le meilleur
souvenir.
Soit. Le texto était parti, les
enfants déjà ravis de l'invitation, et avec une bonne couche de
confiture on fait passer bien des choses (avec du nutella aussi).
Je me suis donc installée peu après
dans la cuisine de Bénédicte pendant que les enfants jouaient
sagement dans le salon (j'ai appris ultérieurement qu'ils ont
regardé leur camarade jouer sur sa DS pendant une heure...).
Bénédicte se tenait, un peu rouge, versant une pleine louche
remplie à ras bord d'une pâte plus liquide que de l'eau (ou
presque) dans une poêle posée sur une plaque de gaz chauffant à
feu très vif, tandis que sur la table une pile de crêpes reposait
déjà, encore chaudes, dans une assiette. Épaisses, brunies par la
chaleur du feu, mais un peu tremblotantes à l'intérieur, elles
ressemblaient trait pour trait à leurs grandes sœurs d'il y a deux
ans.
« Je ne sais pas
bien les faire, regarde, elles sont trop cuites ! »
Par politesse – ou serait-ce par
lâcheté – j'ai contredit mollement Bénédicte, tout en jetant un
coup d’œil réconfortant sur le pot de nutella.
« Tu as un truc,
toi, Albane, pour les réussir ? »
Un espoir s'est levé dans mon cœur.
Je n'ai pas grand mérite, ayant appris de source maternelle l'art et
la manière de faire sauter les crêpes, mais je suppose que je n'y
parviens pas trop mal étant donné qu'elles ont l'heur de convenir à
mon breton de mari. Il est vrai que Bénédicte, arrivée d'Espagne à
l'âge de vingt-cinq ans, n'a peut-être pas reçu toute la formation
nécessaire.
« Alors tu vois,
Bénédicte, ai-je commencé avec tact – mais fermeté (la cause le
méritait) – tu prends un peu de pâte, un tout petit fond dans la
louche, et tu verses doucement en répartissant une fine couche sur
toute la surface de la poêle, une très fine couche, vraiment très
fine, et puis tu laisses cuire. Tu surveilles, tu baisses un peu le
feu, et hop tu retournes. Tu vois, elle n'est pas trop cuite. Et hop,
c'est fini. Mais très fine, la couche.»
C'était gagné. La démonstration
était faite. Bénédicte plongea légèrement la louche dans la pâte
et en versa une faible quantité sur la poêle qu'elle inclina
soigneusement dans toutes les directions pour la répartir
uniformément. Sur le feu, moins vif qu'auparavant, la crêpe prit
une belle couleur dorée, puis, une fois retournée, fine et
appétissante, elle atterrit sur la pile.
« Au moins, j'ai été utile à
quelqu'un, aujourd'hui », ai-je pensé, commençant à me
réjouir à l'idée de déguster les crêpes de Bénédicte, nouvelle
formule.
Et un sentiment de béatitude s'empara
de moi tandis que Bénédicte reprenait la conversation où elle en
était.
« Oh regarde, elle est à nouveau
brûlée, celle-là ! »
Je n'avais plus regardé la cuisinière
depuis quelques minutes, mais, en effet, je vis Bénédicte verser
une louche un peu trop pleine sur un feu un peu trop vif. Cinq
minutes plus tard, le feu était au maximum, les louches remplies à
ras-bord, et les crêpes à nouveau aussi épaisses que des blinis.
Peut-être ne suis-je pas bonne
pédagogue, me suis-je dit, résignée, en étalant une généreuse
portion de nutella sur mon blini grillé dehors – cru dedans. Ou
peut-être Bénédicte préfère-t-elle les crêpes brûlées dehors,
crues dedans – après tout, son mari n'est pas breton, lui.
Mais une chose est sure. L'année
prochaine, c'est moi qui invite.