Il y a quelques semaines, j'ai failli sombrer dans l'addiction.
Cela a commencé peu après la
naissance de mon cinquième enfant. Après neuf mois passés à porter plus ou moins les mêmes vêtements de moins en moins flatteurs au fur et à mesure que les semaines passaient, j'ai ressenti un irrépressible besoin de renouveler ma garde-robe.
Il se trouve que justement les soldes ont commencé à ce moment-là. J'ai passé d'abord une commande sur internet (parce qu'avec un nouveau-né à la maison, rien ne vaut les courses en ligne) et j'ai attendu de recevoir mon colis. J'ai fait mes essayages, puis je suis allée à la Poste renvoyer ce qui ne me convenait pas. J'ai passé une nouvelle commande, puis une autre. J'ai découvert des boutiques en ligne que je ne connaissais pas. Je me suis trompée plusieurs fois dans la taille, j'ai échangé, j'ai renvoyé les articles, j'ai changé d'avis. Et puis je me suis avisée qu'il manquait encore des pièces à ma garde-robe. Et des pièces à assortir avec ces nouvelles pièces. Et des chaussures. Et des accessoires. Et puis ce fut la deuxième démarque. Mon salon était devenu une zone de stockage de cartons en transit, ma chambre un showroom et la Poste l'annexe de mon appartement. Je passais mon temps à remplir des bons de commande et des bons de retour, je ne rêvais plus que chiffons, vêtements, chapeaux, tenues.
Et puis un jour, après quatre chemisiers, deux jupes, une veste, trois robes (que je n'ai toujours pas portées) et un headband, j'ai pris conscience de l'engrenage dans lequel je me jetais. Il était urgent de passer mon temps à autre chose qu'à remplir mes armoires et vider mon compte en banque.
Il faisait beau, c'était juillet, et j'ai décidé de tourner la page. J'ai tout fait pour me désintoxiquer. J'ai bloqué mes boutiques en ligne préférées, oublié mes mots de passe, verrouillé les ventes privées et désactivé les publicités. J'ai trouvé des dérivatifs (repriser des chaussettes, manger du chocolat, acheter des robes - pour ma fille, faire des pique-nique et des bulles de savon). Au bout d'une semaine je pouvais allumer mon ordinateur sans avoir la tentation de consulter une boutique en ligne. Au bout de deux semaines je pouvais passer devant un magasin sans trembler. La sensation de manque s'atténuait, et la troisième démarque est passée sans que je fasse un seul achat.
C'est ainsi que j'arrivais début septembre, fière de ma persévérance et de ma force d'âme.
Et puis un jour j'ai rendu visite à ma
sœur. « Tiens, tu veux me donner ton avis, je me suis acheté une robe, mais je ne suis pas sure qu'elle m'aille ».
La robe lui allait très bien, mais ma sœur n'était pas convaincue par le style. « Tu veux l'essayer ? » m'a-t-elle proposé.
J'ai accepté, parfaitement sereine. La coupe ne m'irait pas, j'étais tranquille : aucun risque d'être tentée. J'ai enfilé la robe.
Ce fut une catastrophe.
Au premier regard dans le miroir j'ai senti que nous étions faites l'une pour l'autre.
Elle me va très bien. Elle est même très jolie. La couleur me plait. La coupe est ravissante. Je me sens si bien dedans. Jamais je n'aurais pu m'en séparer. J'ai tenté de résister. J'ai fait mine d'hésiter. Mais je savais très bien que tout cela était vain. C'était une telle évidence.
Je suis repartie avec la robe.
Et le pire, c'est que je n'ai presque pas de remords.
De toute façon, c'est la faute de ma sœur.