lundi 21 novembre 2011

Ma meilleure ennemie (2/3)

   Pourtant, au bout de quelques semaines de fréquentation assidue d'Élise, j'eus plus de mal à supporter son caractère d'enfant gâté auquel elle laissa davantage cours au fur et à mesure que le temps passait et qu'elle prenait de l'assurance dans son nouveau cadre de vie. Ses défauts, somme toute, étaient assez communs. Elle n'était pas la seule à chercher sans cesse à avoir le dernier mot, à penser avoir toujours raison, à afficher cet air de supériorité satisfaite, à parler d'elle sans s'intéresser aux autres. Je découvrais petit à petit son égocentrisme, sa suffisance, et sa vanité qui la faisaient souvent paraître d'une réelle bêtise. Elle commença à m'agacer sérieusement, et nos parties de ping-pong s'espacèrent, tandis que nous perdions l'habitude de nous retrouver dans ma chambre après le dîner.

   Dans d'autres circonstances, nous nous serions contentées de nous porter des sentiments peu chaleureux et de nous éviter, mais l'étroite communauté de vie à laquelle nous étions contraintes eut pour effet de démultiplier notre antipathie mutuelle : à force de subir sa présence continue en cours, au foyer, pendant nos khôlles, pour déjeuner, pour dîner, il me fut de plus en plus difficile de la supporter, et je crois qu'elle-même, réciproquement, me porta des sentiments de plus en plus hostiles. Je ne pus m'empêcher de prendre en grippe son air infatué, ce je-ne-sais-quoi de légèrement puéril dans son visage, et sa façon de glousser de satisfaction pour ponctuer ses déclarations.

   Pourtant, comme deux prisonniers partageant la même cellule, nous n'eûmes que le choix de prendre notre mal en patience dans ce huis-clos de la rue Bienheureuse où nous ne quittions le foyer que pour nous rendre, ensemble, au lycée. Impossible de parcourir ces allées et venues séparément, impossible dans l'ordonnance immuable du foyer, de prendre nos repas à une autre table qu'à celle où nous nous étions installées le premier jour, impossible de ne pas nous croiser dans notre couloir, impossible de ne pas subir ensemble nos khôlles, nos cours, nos devoirs surveillés.

   Pendant ce temps, au fur et à mesure que nous devenions plus distantes l'une envers l'autre, j'assistais à un net rapprochement entre Élise et Amélie. Au point que bientôt, celle qui était, les années précédentes, ma meilleure amie, ne vint plus au foyer Sainte Anne que pour rendre visite à sa nouvelle relation, sans même passer me saluer. Sauf que, nos chambres étant extrêmement mal insonorisées et tout à fait voisines, je ne manquais pas de me rendre compte de ces réunions dont j'étais exclue. Bien-sûr le phénomène ne fut pas pour me réjouir, d'autant que nos conditions de vie et de travail n'étaient pas favorables à la rencontre de nouvelles connaissances, et j'eus le déplaisir de perdre ma meilleure amie pour une camarade qui avait le don de m'irriter au plus haut point et que j'avais, comble de malheur, à supporter à tout moment de la journée.

   Élise me laissa espérer, en fin de première année, qu'elle changerait peut-être de foyer l'année suivante pour s'installer dans celui d'Amélie, qui était devenue entre temps une étrangère pour moi. J'eus l'espoir fou d'être enfin libérée de l'omniprésence d'Élise, mais celle-ci, pour une raison que j'ignore, renonça à ce projet, et c'est une deuxième année d'étroite cohabitation qui succéda à la première.

 

(A suivre)

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