mercredi 30 mai 2012

Comment réussir sa vie et rater sa soirée

  Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas. Après la rencontre entre blogueurs de samedi, nous étions invités lundi soir chez mes parents qui recevaient des relations de longue date. Il y a dix ans qu'ils ne s'étaient pas revus, mais Jacqueline et Michel Désert étaient ce soir-là de passage dans la région, suite à une grande réunion de famille où ils avaient retrouvé leurs quatre enfants, leurs gendres et belle-filles, et leur dizaine de petits-enfants.

  Une fois installés pour l'apéritif (un tout petit doigt de muscat pour Jacqueline, non, pas plus, merci), les invités répondent aux questions qui leurs sont posées au sujet de leurs enfants.

- Alors Florence et son mari sont à Berlin pour trois ans, Florence a dû quitter son poste de chef de clinique, elle s'attelle à une thèse sur l'éthique en psychiatrie, elle travaille avec des philosophes, elle s'est mise à l'allemand. Son mari s'occupe du parc d'occasions chez TOYOTA, ils ont quatre enfants. Céline et Marc partent pour le Brésil, ils ont toujours voulu partir à l'étranger, ils vont y passer trois ans avec leurs trois enfants, bien-sûr Céline va essayer de retrouver un poste, elle est chef de clinique aussi ; Marc, lui, travaille chez TOTAL, il vient de quitter l'Angola où il a passé un an en célibataire. Leurs enfants se mettent au portugais. Et puis Bruno et Julie sont à Strasbourg, Julie est vétérinaire, elle est spécialisée dans les bovins, elle a un poste très intéressant dans une coopérative – elle travaillait chez PFISER auparavant – Bruno l'a suivie, il fait de la recherche chez AEROTIM, ils ont trois enfants. Julien, lui, est toujours célibataire, il a trente et un ans, il est en fin de poste chez RENAULT, c'est un peu flou en ce moment, vu la conjoncture, il est question qu'il parte en Russie. Il s'est remis au rugby, mais il se blesse souvent et puis il a beaucoup grossi. Oui, il habite à côté de chez nous, mais, non... on ne le voit pas souvent.

  Polis, les invités nous retournent la question. “Vous êtes dans quelle branche ?” Mon mari décrit sa situation. Quand vient mon tour, j'explique que je m'occupe des ressources humaines de la famille. Le malaise est perceptible.

- Mais... tu as travaillé avant ?

  La réponse positive que je donne apporte un léger soulagement. Sans plus s'attarder sur mon propre compte, la conversation repart sur d'autres sujets, on cite ROLEX, la Banque de France, le métier d'avocat d'affaires, le Crédit agricole, Science Po, Ponts et Chaussées, statistiques de chômage, PIB, et de nombreux organismes aux sigles obscurs. Certains dans l'assemblée, que ce genre d'énumération laisse un peu froids, tentent de changer de sujet : Jacqueline et Michel sont allés visiter l'Angola l'année dernière quand leur fils Marc s'y trouvait, et ils se sont rendus à Berlin la semaine précédente chez leur fille Florence.

- Oui, les gens sont assez pauvres en Angola, en revanche ils ont tous un travail, les uns vendent des fruits, les autres poussent une charrue. Mais bien-sûr ça ne rapporte pas grand chose, explique Michel.

- Un peu de blanc de poulet, merci, non, non, moins que ça, c'est le soir, oui, une toute petite cuillerée de petits pois, supplie Jacqueline, qui, vu sa silhouette, n'a pas dû abuser des charcuteries allemandes.

  Les Désert sont retraités. Mais, outre leurs voyages, et le temps qu'ils passent notamment l'été à garder et véhiculer leurs petits-enfants à gauche et à droite, ils sont fort occupés.

- Je préside le conseil syndical de notre copropriété, j'ai aussi des responsabilités chez Afnor, l'arrivée des Eurocodes me donne pas mal de travail. Avec Jacqueline, nous faisons du soutien scolaire, et nous sommes chefs d'équipe dans un mouvement scout. J'ai une petite mission auprès d'AREVA pour l'EPR de Flamanville, et puis je me suis engagé en politique à l'occasion des présidentielles, j'ai apporté ma contribution à la rédaction du programme du Mouvement Démocrate.

- Et vous travailliez dans quel domaine ? demande mon mari.

- J'étais dans un bureau d'étude, AIRTY, qui est devenu PANDORMA par la suite.

  Nous n'en demanderons pas davantage : c'est peut-être l'heure qui se fait un peu tardive, mais je me sens de plus en plus fatiguée.

- Nous ne nous ennuyons pas du tout, mais le réveil va sonner tôt demain, nous allons vous laisser poursuivre la soirée.

  Nous sommes partis après le dessert. La journée avait été ensoleillée, la voiture était chaude, nous avons baissé les vitres. Avec délectation nous avons respiré l'air frais de la nuit.

lundi 28 mai 2012

Une rencontre entre blogueurs

  Samedi soir dernier a eu lieu ma toute première rencontre inter-blogueurs. Nous étions donc quelques blogueurs réunis à la maison, notamment Ginger, Gustave Borjay, et La Belette accompagnée de son mari.

  Là où je me suis rendu compte que la situation manquait en fait un peu de naturel, c'est en répondant aux questions de mes enfants informés de la présence d'invités samedi soir.

- Il va y avoir des amis à la maison demain soir, vous pourrez venir pour l'apéritif si vous êtes sages.

- Ah bon, et comment ils s'appellent ?

- Il y aura Ginger, La Belette et son marido,... ai-je failli répondre. Avant de faire un énorme effort de mémoire pour me souvenir des vraies identités qui se cachent derrière ces pseudonymes (car, elles me le pardonneront peut-être, mais je prends la liberté de vous informer que Ginger, comme La Belette, portent un autre nom dans la vie réelle).

  J'ai rajouté, continuant à parler de La Belette et de son mari :

- Et vous savez, ils viendront avec leur petite fille, qui a votre âge.

- Ah bon, et comment elle s'appelle ?

- Chouquette. Euh, non... (S'en est suivi un deuxième énorme effort de mémoire pour retrouver son prénom).

- Et pourquoi ils ne sont jamais venus avant ?

  Je n'ai pas osé leur dire que je ne les avais tout simplement jamais rencontrés auparavant.

  La situation paraît insolite, certes. Pourtant, une fois les convives réunis, il n'a pas fallu plus d'une seconde pour que la conversation s'instaure avec un naturel déconcertant. Nos trois enfants et Chouquette sont partis jouer au loup dans les chambres, tout à fait indifférents à la façon dont leurs parents s'étaient rencontrés, pendant que, nous autres blogueurs et assimilés, nous nous lancions dans des conversations animées en tentant de retracer la façon dont nous étions tombés sur nos blogs respectifs.

  Le seul aspect étonnant, ce fut ce sentiment saisissant et immédiat de déjà bien nous connaître, et la constatation que chaque blog ressemble étrangement à son auteur – l'usage d'un pseudonyme n'y changeant pas grand chose... – sentiment qui se confirmera sans doute si, comme je l'espère, il m'est donné de participer à d'autres rencontres du même genre.

jeudi 24 mai 2012

Le complexe de la femme de ménage

  Dans le but de me reposer afin de ne pas faire commencer mes vacances d'été trop en avance sur la date prévue, mon mari et moi nous nous offrons depuis peu, et pour la toute première fois, les services d'une femme de ménage, dont je suis extrêmement satisfaite. Mais je suis obligée pour autant de vous mettre en garde, si vous souhaitiez en recruter une : c'est une expérience qui risque de vous causer des complexes.

 Je m'explique. Tout d'abord, il vous faut accepter de faire pénétrer chez vous une personne étrangère sans avoir préalablement remis en ordre toute votre habitation. La situation est inhabituelle, et surtout, de même que l'on a tendance à penser qu'un médecin ne tombe jamais malade, on peut avoir l'idée que la maison d'une femme de ménage est toujours bien rangée. Personnellement je n'ai pas réussi à me retenir, la toute première fois, de passer un demi coup d'éponge au lavabo avant son arrivée.

  Et en effet, l'expertise de votre femme de ménage risque fort de vous embarrasser.

- Pour le repassage, vous avez une centrale vapeur ?

- Euh, non, désolée...

- Et sinon, vous avez une raclette pour passer la serpillère ?

- Une quoi ? Ah non, je regrette...

- Le savon noir, c'est bien, mais ça ne sent pas autant le propre...

- Euh non, en effet, ça vous ennuie ?

  Arrêtez donc de vous sentir en tort. Après tout, c'est son métier, il est normal qu'elle en maîtrise mieux que vous les différents aspects.

  Par ailleurs, il vous faudra vous retenir d'intervenir à mauvais escient. Par exemple, si votre femme de ménage passe l'aspirateur en poussant le zèle jusqu'à déplacer fauteuils et canapés, ce qu'à titre personnel vous ne faites qu'une fois sur dix en considérant alors que vous avez accompli un exploit héroïque, il vous faudra beaucoup de cran pour ne pas vous précipiter en la suppliant de se donner un peu moins de mal. Ayez l'air de trouver ses réactions naturelles, même si cela vous demande un énorme effort. Contentez-vous de vous demander comment elle arrive en une demi-heure à abattre le travail que vous fournissez péniblement en une heure et demie, et encore beaucoup moins soigneusement.

  Enfin, dernier écueil délicat à surmonter : la crainte que votre femme de ménage ne vous prenne en flagrant délit de paresse pourrait vous pousser à redoubler d'activité en sa présence. Elle nettoie la cuisine, vous étendez le linge. Elle passe l'aspirateur, vous sortez le raccommodage. Elle manie la serpillère, vous astiquez l'argenterie. Résultat, elle vous laisse encore plus fatiguée que si elle n'était pas venue travailler chez vous.

  Voilà deux matinées que notre femme de ménage vient me soulager à la maison. Et je commence tout doucement à surmonter ces quelques complexes. Je vous avouerais même que je prends assez vite goût à cette fabuleuse expérience qui consiste à voir son intérieur devenir parfaitement propre et rangé sans avoir à lever le petit doigt...

mardi 15 mai 2012

Vacances d'été

  Le mois de mai est désormais bien entamé, et il est grand temps de prévoir le programme de nos vacances d'été.

  Pour ma part, c'est fait. J'ai réservé mon séjour dans un endroit que je connais pour y avoir à plusieurs reprises passé quelques jours. C'est un établissement renommé qui ne désemplit pas, bien au contraire. Le niveau des prestations y est tout à fait satisfaisant : pension complète, chambres lumineuses parfaitement aménagées avec salle de bains confortable, service hôtelier impeccable (vous n'avez qu'à appuyer sur un petit bouton pour qu'aussitôt quelqu'un s'enquière de vos besoins), télévision et téléphone évidemment. Vous disposez aussi d'un grand parc, de halls vastes et accueillants, d'une cafétéria, d'une bibliothèque.

  Un coup de fil suffit pour réserver, mais attention, il faut souvent s'y prendre plusieurs mois à l'avance. L'accueil est très souple : il vous suffit de donner une date approximative d'arrivée, et, que vous débarquiez quelques jours plus tôt ou quelques jours plus tard, en cours de journée ou en pleine nuit, vous êtes toujours accueillie avec le même soin et le même empressement. Mon séjour aura lieu début septembre, peut-être fin août.

  Certains critiquent parfois les repas, jugés trop peu gastronomiques, ou la décoration un peu impersonnelle des chambres et des couloirs. Ce n'est certes pas le Ritz ou le Georges V, mais pour un établissement à vocation familiale, et aux tarifs plus qu'abordables, c'est on ne peut plus correct. Je connais une mère de famille de cinq enfants qui me disait adorer y séjourner. Du repos, pas de cuisine, ni de ménage, aucun lit à faire... elle en rêvait encore plusieurs années après.

  Ce qui change le plus dans ce genre de vacances, c'est qu'on y part seule, sans mari, sans enfants, pour changer de rythme, profiter d'un repos généreusement offert et amplement mérité.

  Seule... ou presque. Parce que ce séjour est avant tout l'histoire d'une rencontre.

  Vous arrivez seule, mais vous repartez à deux. Une personne dont vous ne connaissiez éventuellement même pas le prénom la veille, va partager votre chambre tout au long de votre séjour. C'est un inconnu, et pourtant votre rencontre restera gravée dans votre mémoire à jamais – il y a même toutes les chances pour que vous en fêtiez chaque année l'anniversaire. Il fera partie de votre famille. Quelques semaines plus tard, vous aurez du mal à imaginer votre vie sans lui.

  Cet été, après une telle rencontre, je ne reviendrai pas les bras chargés de souvenirs de vacances. En tout et pour tout, je rapporterai un petit bracelet bleu ou rose indiquant un prénom et une date de naissance, que je rangerai précieusement avec ceux de mes trois aînés, un certain nombre de photos, et le souvenir indélébile du tout premier regard que nous aurons échangé.

dimanche 13 mai 2012

La chute

  Nous l'avions attendue, guettée, elle était née dans la douleur, comme souvent. Un petit point blanc serti de rouge, c'est tout ce qu'elle nous avait donné à voir, un petit point dur sous la pression du doigt.

  Je ne sais plus au juste si c'est la même, ou sa voisine immédiate, mais une chose est sure : elle est tombée hier de la bouche de mon fils. Une dent de lait qu'on a vu pousser doucement, bien peu utile encore à l'âge des têtées, si ce n'est pour orner le sourire comme une petite perle isolée, une dent de lait qui a croqué dans les premiers biscuits, les premiers fruits, les premiers gâteaux. Une dent de lait vite entourée par une deuxième, une troisième, et toutes les suivantes.

  Elle n'existe plus désormais que dans une petite boîte et sur les photos, chassée par sa remplaçante qui se prépare dans l'ombre, et sa chute n'est que la première d'une longue série.

  Elle a laissé son propriétaire tout stupéfait, fier et heureux, impatient de découvrir sous son lit une trace du passage de la petite souris.

  Et nous attendons d'apercevoir, à la place du trou qu'elle a laissé, un nouveau petit point blanc serti de rouge. Une toute première dent définitive, une dent d'adulte.

samedi 5 mai 2012

La clé du scrutin

  Aujourd'hui 6 mai, je me suis déplacée à l'école maternelle Marie Curie ornée de drapeaux tricolores et inhabituellement fréquentée en ce dimanche matin. Les électeurs sortent des différents bureaux de vote, pressés de rentrer déguster leur choucroute ou leur raclette bien de saison tandis que les autres pénètrent d'un pas rapide dans l'enceinte de l'établissement scolaire.

  Le long du mur d'enceinte de l'école, un homme attire les regards. Face au double panneau électoral affichant les visages des deux candidats, son déambulateur rouge abandonné à côté de lui, il tourne le dos aux passants, présentant un crâne grisonnant et dégarni, une silhouette cassée, une immense paire de chaussures aux épaisses semelles de caoutchouc, un col roulé grisâtre porté sous une vieille veste de costume d'un tissu écossais qui a dû vivre déjà au moins deux ou trois mandats présidentiels. Malgré son âge avancé et sa santé visiblement fragile, il déploie une énergie farouche à sa tâche. En l'apercevant, les électeurs étonnés lui décochent quelques quolibets ironiques, mi étonnés, mi choqués.

  Car l'homme, muni pour tout outillage d'une petite clé, est en train de détacher avec un acharnement surprenant l'affiche du futur candidat perdant. Le papier est bien collé, il se défait par petits lambeaux, résiste aux efforts, adhère à son support et se laisse strier sans se déchirer.

  Mais le spectacle est tout autre que celui auquel on croit assister au premier regard. Cet homme respectable n'est pas en train de se livrer à un acte sauvage de militantisme haineux à l'égard du candidat en question. Car à bien regarder, une fois passé l'effet de surprise, on se rend compte que l'affiche du candidat adverse a elle, totalement disparu, vraisemblablement arrachée la veille, ou au cours de la nuit précédente par un délinquant ignoblement antirépublicain.

  Renonçant au soutien de son déambulateur, en équilibre instable, le bras en l'air armé de la clé de sa porte d'entrée, au péril de sa vie, cet homme se conduit en citoyen exemplaire qui, ne se contentant pas d'accomplir son devoir civique, trouve la force de rétablir l'équité entre les deux candidats inégalement représentés sur le panneau électoral. Pendant que d'autres proclamaient illégalement les résultats avec plusieurs heures d'avance sur l'horaire officiel, risquant de modifier le cours de l'histoire, ce héros de la démocratie, lui, à sa petite échelle, employait ses forces raréfiées à rétablir un climat républicain et civique équitable, propice au bon déroulement des présentes élections.

  Certains, n'y voyant rien d'autre qu'une action dérisoire, ricaneront à l'évocation de ce vieil homme courbé et de son obstination, ironisant sur la portée très réduite d'un effort démesuré. Et pourtant...

  Ce soir, des milliers de sympathisants et de militants réunis fêtent la victoire de leur favori, le champagne coule à flots, des chanteurs se succèdent sur des rythmes endiablés devant une foule en délire. Jamais ils n'auront connaissance de l'héroïque dévouement d'un vieillard invalide qui, au même moment, après avoir fermé de sa petite clé la porte de la maison délabrée qu'il habite dans une obscure banlieue, rangé son déambulateur et ses chaussures en caoutchouc, ayant suivi tout ou partie de la soirée électorale sur son petit poste cathodique, éteindra sa lampe de chevet en remontant sa couverture sur son pyjama à carreaux.

jeudi 3 mai 2012

Les cousines de mon mari

  L'un des réels avantages à se marier, c'est que d'un coup vous gagnez une deuxième famille avec tout ce que cela recouvre de plaisirs – et parfois de contrariétés aussi.

  Mon mari a un certain nombre de cousines, et je me réjouissais de rencontrer ces nouvelles parentes par alliance le jour de mon mariage.

  Malheureusement, la plus âgée d'entre avait été dans l'impossibilité de faire le déplacement. Jeune diplômée depuis plusieurs mois en sociologie des agents immobiliers, elle connaissait quelques difficultés à trouver un emploi, et consacrait tellement de temps et d'énergie à ses recherches qu'il a fallu que mon futur mari, lui-même, dix jours avant la cérémonie, se charge de la relancer pour obtenir sa réponse. Valérie a expliqué par texto qu'elle ne viendrait pas, étant retenue par sa recherche d'emploi. Un entretien d'embauche, sans doute, le samedi en question.

  J'ai eu le plaisir néanmoins de faire sa connaissance un mois plus tard, hélas dans de tristes circonstances, à l'enterrement de la grand-mère de mon mari. Par miracle, et quoi qu'ayant été informée seulement deux jours auparavant de la date de l'inhumation, qui tombait un mardi, en pleine semaine, Valérie avait réussi à se libérer. La tristesse, qui explique à coup sûr son air un peu fermé, l'empêcha de nous adresser un mot sur notre récent mariage ; j'appris uniquement qu'elle se sentait bien à l'étroit dans sa ville natale de Bordeaux, et que seule Paris lui semblait désormais à son échelle.

  Revenons au mariage. Sur le parvis de l'église où nous venions d'échanger nos consentements, mon mari me présente à ses fameuses cousines, groupées en cercle loin des autres invités. C'est alors que Valentine, à peine prononcées les félicitations d'usage, professa sur un ton aussi sec que définitif que quant à elle, jamais elle n'abandonnerait son nom – celui, soit dit en passant, que je venais d'adopter – pour prendre celui de son mari. A bon entendeur...

  La troisième sœur se fit remarquer, lors de la soirée, moins par sa présence sur la piste de danse où toutes les trois, d'ailleurs, se firent très discrètes, allant jusqu'à refuser poliment les invitations à danser qui leur furent adressées, ni par leurs excès de boisson, se limitant toute la soirée au jus de fruit et à l'eau minérale, qui ne parvinrent guère à les dérider, mais par sa remarque piquée sur le fait que, sur le marque-place à côté de son assiette, son prénom se trouvait mal orthographié.

  Quelques temps plus tard, notre aîné avait quelques mois à peine, l'une des trois sœurs se trouvait en stage ouvrier dans la ville que nous habitons. Ses parents qui l'y accompagnaient nous passèrent un coup de fil pour nous proposer de nous rendre visite afin de faire connaissance de leur nouveau petit-cousin. Étant sur le point de partir en vacances le week-end suivant, nous leur proposons de venir dîner un soir en semaine. Impossible : le soir, Valentine, exténuée par sa journée de travail, n'avait plus que la force de se doucher et de regarder le 20 heures en prenant son repas. Mon mari suggère alors à son oncle et sa tante de passer dans l'après midi. Nouveau refus : Valentine aurait trouvé insupportable que ses parents rencontrent notre fils sans elle.

  Cinq ans après, ils ne connaissent toujours pas nos enfants.

  Mais l'être humain est complexe, et les cousines de mon mari le sont assurément, car tout cela ne les empêche pas, à chaque naissance, de nous adresser, avec un petit mot de vives félicitations signé de toute la famille et notamment des trois sœurs, un magnifique ensemble de vêtements de bébé tricotés par elles et par leur mère avec le plus grand soin.

mercredi 2 mai 2012

Quoi de neuf ?

Nous avons tous une vie bien remplie, des activités variées, des sujets de préoccupation, des soucis et des satisfactions. Pourtant, je l'ai encore constaté hier lors d'une conversation téléphonique avec une amie, que j'ai deux ou trois fois par an au bout du fil, il est parfois difficile d'extraire beaucoup de faits saillants de sa vie quotidienne.

- Alors, les enfants vont bien ?

Avec des intimes, des parents, des amis très proches, avec qui vous vous entretenez régulièrement, vous avez toujours de quoi raconter. Le petit est monté au toboggan pour la première fois, le grand fait des constructions, le deuxième a eu un peu de fièvre. Autant de détails que vous vous passerez de rapporter à un malheureux interlocuteur à qui vous n'avez pas donné de nouvelles depuis longtemps. Vous vous efforcez alors de prendre un peu de recul sur les événements des mois passés. Et vous vous rendez compte que vous n'avez rien à dire.

- Euh, eh bien ça va, euh, le grand a cinq ans, il grandit, le deuxième aussi, trois ans, il change, le petit vient de fêter ses deux ans, il pousse.

Selon l'inspiration, vous pouvez ajouter la classe fréquentée par vos enfants et leur taille, et ajouter en vous exclamant “Le temps passe vite !”. Mais en dehors de ces caractéristiques objectives, vous renoncez à exposer par le menu le développement et la croissance de vos enfants qui suivent en cela globalement le même rythme de progression que les autres.

- Et toi, ça va ?

C'est pareil. Pire, même, parce qu'en général vous ne grandissez plus et vous n'éprouvez pas le besoin de rappeler votre âge. A moins d'avoir déménagé récemment, changé de travail, traversé une grave maladie, ou tout autre nouveauté, vous vous creusez le crâne pour trouver ce qui mérite d'être ajouté par rapport à votre dernière conversation.

- Euh oui, ça va, un petit rhume le mois dernier, mais ça va, rien de très nouveau en fait, tout va bien.

- Et professionnellement, quoi de neuf ?

- Euh professionnellement, toujours comme avant, beaucoup de travail en ce moment, mais c'est intéressant, ça va.

Vous venez de noircir trois pages de journal intime si vous en tenez, de blog si vous en alimentez, mais là, vous séchez complètement. La peur d'ennuyer votre auditeur avec des détails qui n'ont d'importance que pour vous, la crainte de paraître envahissant ou profondément égocentrique vous arrête net. Il ne vous reste plus qu'à parler du temps qu'il fait. Vous le saviez déjà, vous menez une vie extraordinairement banale, et à l'autre bout de la ligne votre interlocuteur, sans le vouloir, vient de vous le rappeler.