jeudi 28 juin 2012

Maman bobo

  Hier midi, je sors de l'école avec les enfants, et, comme cela arrive souvent, l'un d'eux tombe sur ses genoux que le port du bermuda laisse découverts. Rien de grave, une éraflure très superficielle comme il y en aura des dizaines d'autres dans le courant de l'été. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas pleurer vigoureusement, en réclamant :

- Maman, j'ai mal, je veux un pansement.

  Ma grand-mère, qui connaissait l'âme enfantine et les vertus réconfortantes d'un morceau de sparadrap, ne sortait jamais sans emporter dans son sac à main quelques pansements qu'elle s'empressait d'appliquer sur nos blessures lorsqu'arrivait l'inévitable chute lors d'une promenade familiale. J'avoue être moins prévoyante et moins attentionnée, car je n'ai encore jamais reproduit cet usage.

- Cela va passer, ce n'est rien, on verra à la maison s'il faut mettre un pansement, ai-je dit comme chaque fois, en pensant intérieurement que d'ici à notre retour la douleur aurait disparu.

  Mais le hasard fut plus clément que je ne le suis moi-même. A ce moment précis, une dame d'un certain âge, sortant de l'école où elle vient de déposer ses petits-enfants, approche derrière nous d'un pas menu et silencieux.

- Un pansement ? répète-t-elle.

  Et, s'arrêtant à notre hauteur, en l'espace d'une seconde, elle sort de son sac à main bien rangé un petit étui dont elle extrait un pansement, me le tend, et repart aussi furtivement qu'elle était arrivée. J'ai mis le pansement au genou et du baume au cœur du petit blessé, et nous sommes rentrés.

  Il est heureux le temps où la sollicitude d'une grand-mère et un peu de sparadrap suffisent à apaiser les plus grands chagrins.

lundi 25 juin 2012

La fête de l'école

  Après la fête des parents, a eu lieu samedi dernier la très attendue fête de l'école. La cour de l'établissement avait été entièrement transformée pour l'occasion, un grand podium dressé en son milieu, une buvette installée ainsi que de longues tablées couvertes de nappes en papier, sans oublier les jeux pour enfants : pêche au canard, chamboultou et autres attractions, et parmi elles les deux magnifiques châteaux gonflables.

  Depuis plus d'un mois les écoliers ont répété assidument la chorégraphie proposée en guise de spectacle de fin d'année. Des heures d'entraînement dans la salle de sport, des costumes, une répétition générale sur le podium, et enfin, samedi, le grand jour.

  Nous sommes arrivés à midi pour déjeuner sur place. Toutes les tables étant déjà prises, nous nous sommes assis sur les marches où nous avons dégusté coca, frites et hot-dogs – à la santé du Docteur glucose. Les parents de Jeanne se tenaient au même endroit avec leurs filles. Le papa de Jeanne s'est mis à raconter son tout récent voyage professionnel en Chine.

- Mon correspondant chinois, qui a eu le rare privilège d'avoir deux enfants, m'a expliqué quel parcours du combattant il a fourni pour en obtenir l'autorisation : il a dû constituer un dossier, prouver que sa femme et lui étaient eux-mêmes enfants uniques, qu'ils avaient les moyens d'éduquer leurs enfants et de leur faire faire des études supérieures, et en outre il a dû laisser un intervalle de cinq ans entre les deux. Quand je lui dis qu'autour de nous des gens attendent leur quatrième enfant, que j'ai un frère qui en a dix, il n'en revient pas.

  Splash... Notre deuxième fils vient de renverser son verre de jus d'orange sur mon gilet blanc et se met à fondre en larmes. Nous avons au moins la chance ici de ne pas avoir à demander la permission à quiconque avant d'avoir un nouvel enfant.

- Il m'a emmené dans un parc à Pékin, c'était la première fois que son fils de sept ans faisait du toboggan... Chaque week-end ses parents le font travailler pour combler ses lacunes, et le reste du temps il apprend le piano.

  Il est heureux que Jeanne ne soit pas élevée en Chine. Là-bas, il n'y a sans doute pas de place pour les suiveurs. A côté les enfants, ayant terminé leur barquette de frites, montent et descendent les marches en courant. Le papa de Jeanne continue la conversation avec mon mari, sa femme se tourne vers moi, en déclarant, avec, comme toujours, les meilleures intentions du monde, en me proposant une part de gâteau :

- Quand j'ai su que tu attendais un quatrième enfant, j'ai été vraiment admirative. Surtout le fait de s'en occuper soi-même à la maison, je crois que, moi, je n'aurais pas la patience.

  Cela fait au moins vingt-cinq fois que la maman de Jeanne me fait de telles confidences.

- Ce qui doit être difficile, surtout, c'est de ne pas exister pour soi. Bien-sûr quand je suis à la maison je m'occupe des filles, je n'existe pas pour moi, mais quand je travaille, tu vois, j'existe pour moi...

  Chacun a le droit de faire ce qui lui plait et de penser ce qu'il veut, mais il y a des choses qu'il n'est pas interdit de garder pour soi.

  J'oriente la conversation sur le prochain déménagement des parents de Jeanne dans le quartier voisin.

- Oui, nous sommes en plein dans les cartons, de plus, professionnellement, à la bibliothèque nationale, on termine la mise à jour du catalogue, cela fait énormément de travail, c'est très éprouvant.

  L'heure arrive où les premières classes vont se produire sur le podium. Deux élégants présentateurs animent un quizz musical et annoncent les grands gagnants de la tombola tandis que les parents se pressent autour de la scène en dégainant leurs appareils photo et caméscopes. Enfin, les élèves de petite section montent sur scène, le spectacle peut commencer. Il y a de quoi pour chaque parent s'attendrir en admirant son enfant s'appliquer – plus ou moins –, à reproduire – à temps ou à contre-temps – les gestes que la maîtresse effectue au même moment au bas du podium. Mais, il faut le reconnaître, l'ensemble est assez nettement désorganisé. Un mois de répétitions acharnées pour un tel résultat, les présentateurs n'ont pas tort de saluer l'abnégation des enseignantes. La chorégraphie des moyenne section, si elle est un peu plus soignée, reste toutefois assez brouillonne également. Mais les enfants saluent leur public, ravis de leur prestation, et nous, parents, applaudissons de bon cœur.

  Depuis une année qu'ils en rêvent, nous offrons à nos enfants quelques parties de pêche au canard, ainsi que cinq minutes dans le château gonflable dressé en face du podium. Tout le monde est fou de joie... ou presque, car mon mari se fait réquisitionner par Xavier, grand responsable de la « Commission jeux de la fête de l'école », et spécialement tracassé par cette responsabilité, pour tenir la permanence du stand de pêche au canard.

  Il est temps pour les enfants d'aller choisir un lot en échange des bons gagnés à ce dernier stand. Et c'est ainsi que nous quittons, un peu fatigués, la fête de l'école qui continue à battre son plein, avec, pour les enfants, un ensemble de petites voitures made in china et des souvenirs émerveillés, et pour moi, un léger coup de soleil : plus que jamais nous sentons la fin de l'année scolaire approcher. J'imagine que c'est ainsi que, année après année, fête après fête, les enfants qui dansaient déguisés sur une musique de film Disney se retrouvent en train de passer leur bac...

  Mais chaque chose en son temps.

jeudi 21 juin 2012

Le téléphone glucose

  Vous vous souvenez sans doute de ma récente journée glucose qui m'a laissé de grands souvenirs et vous vous demandez certainement, à juste titre, ce qu'il en résulte. Sachez que j'ai commencé par m'empresser de laisser passer six jours avant de me procurer le fameux sésame dont j'avais la satisfaction de pouvoir choisir la couleur, un petit gadget électronique me permettant de connaître à toute heure du jour ma quantité de glucose sanguin.

  J'ai  donc pris mon courage à deux mains et lundi soir, j'ai commencé à me piquer consciencieusement le bout des doigts. Après avoir massacré la pulpe de ceux-ci, j'ai eu la satisfaction de ne lire des gluco-taux largement en dessous des objectifs fixés par les médecins. Le dépistage médical sur une seule et unique prise de sang est peut-être un peu hâtif... Je me suis du moins félicitée de ne pas m'être privée de confiseries ni de macarons ces dernières semaines.

  Quoi qu'il en soit, j'avais reçu comme instruction de transmettre ces taux par mail au docteur de la journée glucose, ce que j'ai fait mercredi soir.

  Jeudi matin, le téléphone a sonné.

- Bonjour Madame, c'est Laurence, l'infirmière glucose.

  Je reconnais le ton sucré employé tout au long de la journée d'éducation thérapeutique.

- Nous avons bien reçu votre mail, alors que pensez-vous des résultats ?

  Notez l'importance de la pédagogie destinée à responsabiliser les femmes enceintes afin de les rendre actrices de leur suivi médical.

- J'en pense que tout est parfait, ai-je répondu, en ajoutant : D'autant que je n'ai pas du tout modifié mon régime alimentaire.
- Ah non, mais ce n'est pas un régime, c'est plutôt un équilibre alimentaire.

  La nuance est de taille.

- Bon, alors vous continuez, et vous nous renvoyez un mail dans une semaine, me demande-t-elle.
- Euh... étant donné les résultats, on pourrait peut-être alléger la surveillance ?
- Je vais demander au médecin.

  J'entends la voix de Laurence assourdie qui s'adresse au docteur glucose :

- C'est Madame Albane, ses gluco-tests sont parfaits, elle dit qu'elle n'a pas modifié son régime, je lui ai dit que c'est surtout un équilibre alimentaire, et elle demande si elle peut alléger la surveillance.

  Le docteur glucose a donné son accord.

  Cela tombe bien, il y avait du coca et des barres kinder pour le goûter. Puisque ce n'est qu'une question d'équilibre...

jeudi 14 juin 2012

La fête des parents

  Vous le savez tous, il y a deux semaines tombait la fête des mères, et après-demain nous fêterons la fête des pères. Dans toutes les écoles primaires de France les enfants ont travaillé assidûment à préparer de jolis cadeaux artisanaux et à mémoriser de charmants poèmes à destination de leurs mamans et de leurs papas.

  L'école de mes enfants ne l'entend pas de cette oreille. Depuis l'année dernière, l'équipe pédagogique au grand complet a décidé de la création d'une nouvelle fête remplaçant les traditionnelles fête des mères et fête des pères : la fête des parents.

  Exceptionnellement, le samedi à mi-chemin entre les deux fêtes, c'est-à-dire samedi dernier, les portes de l'école se sont ouvertes pour accueillir les enfants des classes maternelles. Disciplinés, nous avons donc laissé le réveil sonner à sept heures, afin que mon mari puisse déposer les enfants à l'heure habituelle dans leur classe. La fête des parents, c'est avant tout une grasse matinée de perdue.

  Une heure et demie plus tard, nous étions de retour à l'école, tous les deux, pour la grande célébration. Rendez-vous à dix heures dans la classe de notre aîné. Une foule de parents se pressent déjà dans la salle où les tables et chaises ont été poussées contre les murs. Les trente élèves de la classe sont assis sur le tapis d'où ils observent avec satisfaction et un peu d'étonnement le public assemblé devant eux pour la circonstance. S'en suit un émouvant moment de récitation collective : un poème pour les papas, un poème pour les mamans. Cachés derrière leurs appareils photographiques, leurs téléphones, caméscopes et reflex, les parents immortalisent le moment pendant que l'enseignante s'applique à décrire de grands gestes à visée mnémotechique pour soutenir la mémoire de ses élèves. Après les applaudissements, la distribution des cadeaux commence. « Gaspard, Apolline, Lilou... » : le concept de fête des mères et fête des pères se dissout de plus en plus : c'est un seul et même cadeau que les enfants ont préparé. Il n'y a que les parents séparés qui ont droit chacun à un présent. La fête des parents, c'est la fête du partage.

  Un quart d'heure plus tard, la même cérémonie se reproduit dans la classe inférieure, avec de nouveaux poèmes et un nouveau cadeau unique ; enfin, dans le hall de l'école, les enseignantes réunissent les enfants des différentes classes pour leur faire entonner deux ultimes chansonnettes à la gloire des parents d'élèves. C'est une école privée, et finalement, la fête des parents, c'est un peu la fête des clients.

  Le spectacle est charmant, mais je me demande si je ne préfèrerais pas une fête des mères plus traditionnelle et moins collectiviste, avec la remise du cadeau et la récitation de la poésie dans l'intimité familiale le dimanche en question. La fête des parents, c'est un peu communiste.

  En attendant, je me ressers en quiche lorraine cuisinée par les grande section au buffet dressé dans la cour. L'enseignante de mon fils aîné s'adresse à un monsieur qui, visiblement, vient tout juste d'arriver :

- Louise vous a attendu, elle pensait que vous seriez présent, elle était très triste.

- Je suis désolé, c'est moi qui ai la garde de Louise ce week-end, mon ex-femme m'avait bien dit qu'il y avait école. Mais comme elle ne pouvait assister elle-même à la fête, visiblement elle a préféré que je n'y sois pas non plus... elle ne m'a pas prévenu.

 La fête des parents, ce n'est pas toujours la fête des enfants...

mardi 12 juin 2012

Ma journée glucose

  Il y a quelques semaines, j'ai eu la chance de tirer le numéro gagnant. Par malheur il ne s'agissait pas du loto, mais d'une simple prise de sang : je suis tombée pile à la limite qui fait de moi une femme enceinte atteinte de diabète gestationnel. Comble d'ironie, les seuils ayant été abaissés il y peu, j'aurais été considérée en bonne santé il y a deux ans – mais telle est la magie de l'arbitraire médical.

  J'ai donc eu l'honneur d'être convoquée pour une journée entière à passer à l'hôpital, et c'est hier que je m'y suis rendue dans la plus grande allégresse. J'étais attendue, ainsi que huit autres femmes enceintes, pour une séance « d'éducation thérapeutique », ainsi que le décrivait le programme reçu par courrier.

  Après une petite prise de sang de routine, une infirmière qui se présente en souriant nous emmène en troupeau jusqu'au bout d'un des couloirs de l'immense établissement. Nous avons le temps d'admirer les riantes affiches « Dextro en fête » ou « Fête des diabétiques qui bougent », et de croiser quelques malades transportés en brancard.

- Vous pouvez venir une par une, n'hésitez pas à enlever vos chaussures.

  L'infirmière nous fait passer chacune sur une balance constituée d'une immense plate-forme d'un mètre sur un mètre. L'espace d'un instant, il me semble comprendre ce que peut ressentir une vache qu'on prépare pour un concours agricole.

  Nous voici maintenant réunies dans la salle « d'éducation » du quatrième étage. Comme dans tout hôpital qui se respecte, la température atteint trente-cinq degrés environ, la journée promet d'être longue.

  Pour nous occuper en attendant le début des interventions, nous disposons d'un dossier rempli de questionnaires auxquels il nous est demandé de répondre. De jolies petites illustrations pédagogiques embellissent un texte écrit dans plusieurs couleurs vives, il faut cocher des cases, éviter les pièges – du genre : « Buvez-vous beaucoup d'alcool ? ». En plus des questions strictement médicales, je trouve des interrogations plus surprenantes :

- Êtes-vous bien dans votre vie ?

- Vous trouvez-vous trop grosse ?

- Vous sentez-vous bien dans votre couple ?

  Je décide discrétionnairement de m'abstenir de répondre. Le corps médical restera dans l'ignorance de mes réponses à ces questions.

  Une infirmière, un médecin et une diététicienne se succèdent auprès de nous. Si nous n'avions pas encore compris que nous étions convoquées pour être « éduquées », nous ne pouvons plus l'ignorer davantage. Tandis que le médecin s'adresse à nous d'une voix sucrée, j'ai soudainement l'impression de revenir en maternelle quand nous étions assis sur un tapis autour d'une enseignante souriante et pédagogue.

- Alors, le diabète gestationnel, qu'est-ce que c'est ? Le diabète d'abord, quelqu'un peut me dire ? Et gestationnel, qu'est-ce que ça veut dire, quelqu'un sait ?

  Heureusement les bonnes élèves ne manquent pas et lèvent le doigt. Même Lucie, qui attend son deuxième enfant, le regard un peu éteint, fait du zèle malgré un léger défaut de prononciation.

- Ben moi pour mon premier zenfant ze devais pas boire de zus d'orange.

  Par la suite nous sommes reçues une par une par le médecin et la diététicienne. Le médecin me demande quelle couleur je souhaite pour mon appareil à prendre ma glycémie à domicile.

- Rose, noir ou vert ? Non, parce que vous allez être embêtée avec ça pendant plusieurs semaines, alors autant y trouver un peu de plaisir.

  C'est fou comme je me sens d'un coup plus heureuse.

  Ce sentiment persiste tout au long du déjeuner servi dans la fameuse salle d'éducation. Autour des plateaux-repas froids (« On est passé en repas d'été », nous explique l'infirmière), la conversation s'instaure entre les parturientes.

- Moi mon mari, depuis le début de ma grossesse je ne le supporte plus. Je lui ai dit : si tu veux divorcer, je suis d'accord. C'est les hormones, ça.

- Fais attention, quand on en a contre quelqu'un pendant sa grossesse, il paraît que le bébé lui ressemble. Moi je me disputais tout le temps avec mon mari, résultat, ma fille lui ressemble.

- Oh bah j'espère pas, moi récemment j'ai failli tuer mon patron, j'en pouvais plus, une fois je l'ai poursuivi avec un couteau dans la boulangerie, j'espère que le bébé ne va pas lui ressembler !

- Non, ça ne marche qu'avec les membres de la famille, si c'est ton patron il n'y a pas de raison.

  Petit tour de table sur le nombre des enfants que nous avons déjà.

- J'ai trois garçons, dis-je.

- J'aime pas les garçons, répond la boulangère. D'ailleurs je n'ai que des filles, je préfère.

  S'en suit une série de considérations financières.

- J'ai une aide ménagère, explique Stéphanie, qui attend des jumeaux pour la deuxième fois, par contre ce n'est pas pris en charge en totalité, il faut quand-même payer, soupire-t-elle.

- C'est n'importe quoi, ça ! s'indigne ma voisine de gauche.

- Et le congé maternité, il paraît qu'on est payé un peu moins que son salaire habituel, ajoute la première.

- C'est pas normal, ça, je trouve, quelque part c'est un peu discriminatoire.

- Oh, z'ai oublié mon zac dans l'autre zalle, conclut Lucie avec à propos.

  Nous passons un dernier examen médical, avant l'ultime étape de la journée : une séance d'activité physique, « pour nous apprendre comment faire de l'exercice pendant la grossesse. On va surtout faire bouger les bras », explique l'infirmière.

  Je sens que j'ai atteint mon seuil de tolérance. Je fais mine de décrocher mon téléphone.

- Je suis vraiment désolée, mais j'ai un enfant qui a 40 de fièvre, il faut absolument que je rentre chez moi...

  Le médecin m'autorise généreusement à partir une heure avant les autres. Je prends mes cliques et mes claques et en retrouvant mon chemin je me sens comme un prisonnier qui se serait échappé de sa cellule. Le club des gros ventres qui agite les bras, ce sera sans moi ; j'attendrai d'être clouée à un fauteuil roulant dans une maison de retraite pour participer à ce genre d'activité.

  En attendant le métro je ressens une énorme lassitude et une irrépressible envie de chocolat. Je n'ai plus qu'une chose en tête : expérimenter les vertus cathartiques et thérapeutiques de l'écriture d'un billet sur mon blog...

dimanche 10 juin 2012

Courses surprise

  Je ne sais pas si c'est pareil chez vous, mais chez nous il se passe un phénomène étrange lorsque je demande à mon mari de nous faire une course ou une autre. Il m'arrive de lui confier une petite liste pour nous dépanner le week-end en denrées de première nécessité qui viendraient à manquer : beurre, pain, lait, jambon par exemple. La mission a l'air simple, mais immanquablement, à son retour, mon mari dépose un sac de commission bien plus rempli que prévu en expliquant :

- J'ai pris le beurre, le pain, le lait et le jambon. Tiens, j'ai trouvé aussi cette bonne petite bouteille, je me suis dit que cela ferait un bon apéritif. Et pour l'accompagner j'ai pensé que cette terrine de canard serait délicieuse sur des toasts. Alors j'ai acheté un bon pain aux noix. Et pour le dessert une petite barquette de gariguettes qui m'ont l'air délicieuses. Tu as de la place au congélateur ? Parce que j'ai pris des cônes glacés.

  Le phénomène, totalement incontrôlable et aléatoire, ne se limite pas aux courses alimentaires. Samedi dernier, mon mari s'est rendu dans un grand magasin commander un nouveau réfrigérateur pour notre famille en cours d'agrandissement. A son retour, il me fait le compte-rendu suivant :

- Alors j'ai commandé le réfrigérateur, il sera livré vendredi. Et tu sais, j'ai même gagné 20 euros, parce qu'il y avait une erreur d'étiquetage en rayon.

- Bravo, on pourra y glisser une bouteille de champagne, ai-je pensé.

- Eh bien en fait, je me suis demandé ce que nous pourrions faire de ces vingt euros. Alors je suis passé à la fnac.

  Bilan des courses : un réfrigérateur et cinq DVD.

  Heureusement, je n'ai rien contre déguster un cône glacé à la pistache devant un bon film d'action.

dimanche 3 juin 2012

Félicitations

  Quand vous avez la joie d'attendre un enfant, il vous faut penser à l'annoncer à votre entourage. La tâche se révèle le plus souvent fort agréable, assortie de félicitations chaleureuses, mais il arrive de temps en temps que vos proches se montrent plus surprenants dans leurs réactions.

  Le phénomène peut se produire dès le premier enfant. Mon mari se souvient d'un « Déjà ? » très étonné et légèrement réprobateur de la part d'un membre de sa famille, quant à moi, je n'oublierai pas cet ami qui, ne sachant sans doute pas très bien quels mots choisir en la circonstance, me gratifia de cette réflexion pour le moins déconcertante :

- Alors, il paraît que tu as un truc dans le ventre ?

  Je me souviens également d'une collègue qui me demanda avec tact si l'arrivée de cet enfant était tout à fait prévue (question qui, d'ailleurs, revient régulièrement naissance après naissance).

  Vous pourriez penser que votre entourage, une fois habitué à l'idée de vous savoir déjà parents, ne s'étonnera plus d'une nouvelle annonce de ce type pour un deuxième enfant, ni pour les suivants. Mais la réalité est en général plus complexe. D'ailleurs, pour se prémunir contre certaines réactions, il peut être judicieux de transmettre l'information par écrit. Mais ce n'est pas toujours possible. Par exemple, lorsque nous attendions notre deuxième enfant, l'aîné n'ayant pas encore un an, une voisine, qui s'intéressait très gentiment à ce dernier qu'elle avait d'ailleurs gâté généreusement à sa naissance, s'est avisée d'en demander des nouvelles à mon mari qu'elle croisait dans la cage d'escalier.

- Comment va le petit bébé ?

- Il va très bien, merci, d'ailleurs nous attendons un deuxième enfant, c'est une très bonne nouvelle.

  Notez qu'il n'est pas inutile de faire entendre à vos interlocuteurs que vous êtes le premier à vous réjouir, mais gardez-vous de croire que cela soit toujours suffisant pour leur faire comprendre quel ton donner à leur réponse. En l'occurrence, notre voisine prit soudainement un air distant et froid pour répliquer :

- Oh, mais ça va forcément créer des problèmes.

  J'ajoute pour être juste qu'elle ne manqua pas pour autant de gâter notre deuxième enfant et de se montrer, une fois cette réflexion faite, aussi gentille qu'auparavant.

  Dans le même genre, c'est une collègue de mon mari qui, alors que nous attendions notre troisième enfant, ce qu'elle ignorait encore, est venue lui demander, tout sourire et très aimable, comment se portaient les deux aînés. Mon mari en profita pour lui annoncer le prochain agrandissement de la famille et eut la surprise de voir son sourire se figer sur ses traits, tandis qu'elle reculait sans voix comme abasourdie et terrifiée par cette nouvelle inattendue.

  Car il faut savoir que vous trouverez autour de vous, surtout si vous avez déjà un certain nombre d'enfants, une quantité importante de personnes pour vous dispenser des conseils avisés sur les limites qu'il convient à donner à la taille de sa famille - Monsieur Bilermal par exemple. Début janvier, un collègue de mon mari lui a adressé ses vœux pour 2012 :

- Meilleurs vœux, et surtout ne fais pas le c**, ne nous fais pas de quatrième enfant cette année !

  Il ne le savait pas, mais le quatrième enfant s'était déjà annoncé.

  Deux semaines plus tard, au cours d'un déplacement professionnel, un autre de ses collègues déclare à mon mari, d'un air sentencieux, avec un fort accent belge :

- Deux enfants, c'est bien. Trois enfants, c'est bien aussi. Mais quatre, non, ce n'est pas possible, quatre.

  Puis, après une seconde d'hésitation :

- Tu n'en veux pas un quatrième, dis-moi ?

  La palme revient sans doute à une autre collègue de mon mari, qui, alors que notre troisième enfant n'avait pas encore quatre mois, l'a interrogé avec ce que d'aucuns auraient qualifié de léger soupçon d'aigreur dans la voix :

- Tiens, tu es en retard, tu ne nous a pas encore annoncé que ta femme est enceinte ?

  Certains ont aussi le chic pour vous adresser des félicitations en demi-teinte dont vous ne savez trop que penser. Dernièrement la maman de Jeanne m'a tenu les propos suivants :

- Mon mari m'a dit : « Tu sais, Albane attend un quatrième enfant. Mais je ne crois pas que ce soit une bonne nouvelle ». Je lui ai répondu : « Mais si, bien-sûr, c'est une bonne nouvelle ! ».

  Avant de rajouter sur le ton de la confidence :

- En fait, je crois qu'il avait peur que cela me donne des idées.

  Mais je suis sure que nombre d'entre vous, chers lecteurs, en particulier ceux qui ont déjà des enfants, auront d'autres réactions insolites à ajouter à ce florilège – et je suis impatiente de les lire...