vendredi 30 septembre 2011

Présentations

  Depuis plusieurs mois maintenant, mon fils a un grand ami, un camarade de classe prénommé Bastien. Depuis un an, Bastien et lui passent toutes leurs récréations ensemble, jouent ensemble, et se retrouvent, disons un après midi sur deux, au parc Arborique.
  Dès que Bastien débarque dans le jardin, mon fils, ainsi que son frère d'ailleurs, se précipitent vers lui, et ils se mettent tous invariablement à parcourir les allées à vive allure, les uns derrière les autres, sans s'arrêter : Bastien semble monté sur ressort.
  Je connais bien la maman de Bastien, de vue du moins. Elle accompagne son fils tous les jours à l'école, tous les jours c'est elle qui vient le chercher. Autant dire que nous nous sommes croisées plusieurs centaines de fois. Pourtant nous ne nous sommes jamais adressé la parole : elle paraît assez froide, voire un peu hautaine, et je n'ai jamais eu vraiment envie d'engager la conversation malgré la bonne entente qui règne entre nos garçons. Au parc, elle s'installe sur un banc, un peu éloigné du coin où j'ai mes habitudes. Parfois mes enfants, entraînés par Bastien, jouent à côté d'elle, pendant qu'elle pianote sur son téléphone portable. Elle a toujours l'air de s'ennuyer au parc Arborique.
  Mais cet après midi, grande nouveauté : la maman de Bastien et moi avons échangé quelques mots pour la toute première fois. Je venais chercher mon fils, elle avait juste récupéré le sien, et nous nous croisons devant la porte de la classe.
« Vous avez eu mon message ? » me demande-t-elle de but en blanc.
  Surmontant ma réaction de surprise, et imaginant vaguement qu'il pourrait s'agir d'une invitation à l'anniversaire de Bastien, destinée à mon fils, j'explique que je n'ai rien trouvé sur mon répondeur. Une seconde d'hésitation.
« Vous êtes bien la maman d'Achille ? »
  Non, je ne suis pas la maman d'Achille. Achille est un autre petit garçon de la classe. Cela fait un an que Bastien et mon fils sont les meilleurs amis du monde, cela fait un an que nous nous croisons plusieurs fois par jour accompagnées de nos enfants, mais visiblement, pas une seule fois la maman de Bastien ne s'est enquise du prénom du camarade préféré de son fils.
  Je suis néanmoins ravie d'avoir fait sa connaissance. Sur un malentendu, peut-être, mais désormais les présentations sont faites.

« Presque rien » (et non pas « rien du tout », attention nuance !)

  Ça y est ! J'ai récupéré le cahier de vie de mon fils, élève de moyenne section, et j'ai le loisir de le consulter pendant tout le week-end. Je dois même le rendre signé lundi matin, pour prouver que je l'ai bien regardé – attention les parents, les maîtresses vous surveillent ! La maman de Bastien trouvera grand profit à potasser le trombinoscope des élèves de la classe.

  Mais surtout, surtout, j'attendais avec impatience de lire la suite du splendide poème très pédagogique dont je ne connaissais encore que les premiers vers et dont je vous avais parlé il y a quelques jours. Je sais que vous êtes nombreux à avoir trouvé cette œuvre – qui, d'ailleurs, du point de vue littéraire, n'aurait pas fait rougir un Baudelaire ou un Musset, convenons-en – particulièrement admirable, et que vous bouillez littéralement d'impatience d'en connaître la suite afin de l'apprendre vous-mêmes à vos propres enfants. Enfin, non, pardon, c'est vrai que vous ne pouvez pas, pauvres parents que vous êtes, enseigner quoi que ce soit à votre descendance.

  La preuve : (Le nom de l'auteur n'est pas indiqué, hélas, trois fois hélas. Un génie anonyme qui mérite néanmoins toute notre admiration.)

 

Si j'étais tout le temps,

Tout le temps à la maison,

Je ne saurais pas de chanson,

Je n'aurais pas de copains,

Je jouerais seul dans mon coin,

Je ne saurais presque rien.


Mais moi, je vais à l'école,

Et, là, j'apprends, je rigole,

Et je deviens, mine de rien,

Chaque jour un peu plus grand.

 

  Moi aussi je rigole. Un peu jaune, mais je rigole. Et vous ?

dimanche 25 septembre 2011

Les conseils de Madame Proprette

  Devant le succès colossal de mon article sur les qualités ménagères de ma voisine, Madame Proprette, j'ai décidé de créer une rubrique destinée à toutes celles qui, comme moi, souhaiteraient de toutes les fibres de leur être devenir une fée du logis, mais qui ne savent pas comment s'y prendre.
  Hier, je suis rentrée d'une virée au supermarché en même temps que Madame Proprette qui a ouvert devant moi sa porte, me laissant apercevoir un parquet aussi lisse et brillant qu'un miroir. Je ne savais même pas qu'un miroir pouvait être aussi luisant.
  Mais surtout, Madame Proprette, par son exemple, m'a livré un petit conseil d'entretien ménager que je vais m'empresser de reproduire dès demain, ou peut-être après demain... bref, un jour. Un petit pas vers la perfection ménagère, une excellente entrée en matière, que je lui ai vu exécuter avec une maîtrise extrême sous mes yeux ébahis :
  Lorsque vous rentrez chez vous, après vous être essuyé les pieds, vous n'oublierez jamais de nettoyer le contour extérieur du paillasson à l'aide d'un chiffon que vous garderez toujours en votre possession.
  A vos paillassons, mesdames.

vendredi 23 septembre 2011

Reine de beauté

  Cela fait plusieurs années que je l'avais remarquée, s'exposant des heures durant au moindre rayon de soleil entre le mois de mars et le mois d'octobre, sur le banc le mieux orienté du jardin municipal, le parc Arborique.
  Depuis que mon aîné est rentré à l'école du quartier, j'ai la joie de la voir plusieurs fois par jour y chercher le plus jeune de ses grands fils. Elle n'a qu'à traverser l'avenue, au niveau de la station Arborique, dans la direction opposée au parc. D'une quarantaine d'année, plus mince que je ne l'ai jamais été, plus grande que je ne le serai jamais, elle ne rechigne pas à montrer ses longues jambes et sa silhouette élancée. Miss Arborique est très fière de sa ligne. Elle arbore toute l'année un teint doré, brun, cuivré, parfait, soutenu, soigné, uniforme. Elle met un point d'honneur à exposer la perfection de son hâle et celle de ses longues jambes fuselées. Petit short noir – sa couleur fétiche – escarpins haut perchés, pas de manches, aucune autre maman de l'école n'est aussi rayonnante, ni aussi peu frileuse : on ne bronze pas minutieusement toute l'année pour se cacher sous un manteau. Miss Arborique est très fière de son bronzage. Parfois, Miss Arborique débarque à la sortie de l'école, le port altier, avec un petit chien dans les bras, au pelage exactement assorti à la longue chevelure fauve qu'elle laisse flotter jusqu'au milieu du dos. Miss Arborique est très fière de ses cheveux.
  Pour gagner un peu d'argent de poche, Miss Arborique garde une petite fille de la classe de mon fils après l'école. Elle l'emmène au parc, et bronze pendant que la petite joue. J'ai su par la maman que Miss Arborique, lectrice assidue de magazines féminins, enseigne à la fillette les secrets de sa beauté et de son élégance. Depuis que Miss Arborique la garde, la petite fille passe son temps à s'admirer dans la glace et se trouver belle.
  Miss Arborique est une reine de beauté. Bien-sûr, elle ne concurrence ni Miss Nationale ni Miss Univers, mais dans son royaume, qui s'étend de l'école primaire au jardin public, dans un rayon de deux cents mètres autour de la station Arborique, elle est la plus belle - lui assure chaque matin son miroir, son beau miroir.

mercredi 21 septembre 2011

« Rien du tout »

  Nous participons tous à la conspiration. Nous l'avons subie enfants, puis, lorsque nous devenons adultes à notre tour, nous l'infligeons à notre progéniture, et c'est ainsi depuis des générations.
  Un beau jour de la vie de notre enfant, nous décidons arbitrairement qu'il est temps qu'il rejoigne le système scolaire. Il a deux ans, trois ans, parfois plus, et nous le confions, pour son bien évidemment, aux bons soins d'un enseignant, d'un établissement, d'un directeur d'école. Bien-sûr, nous n'en sommes pas sortis depuis si longtemps et il nous en reste de nombreux atroces souvenirs, mais, pour la plupart d'entre nous, il est hors de question de soustraire nos enfants à ce système qui nous a fait tant souffrir.
  La conspiration est bien rôdée. Les premières années, l'enfant peut croire sincèrement qu'il rentre dans un paradis plein de jouets, de coins cuisine, de pâte à modeler et de tapis de voiture. L'enseignante est douce et gentille, on dirait un peu une maman. Il pourrait commencer à se méfier lorsqu'on lui demande de reconnaître son prénom ou qu'on lui colle un crayon entre les mains, mais en général il se laisse pitoyablement prendre au piège, naïvement fier de toutes ses découvertes et de tous ses progrès. Les premiers jours lui coûtent souvent, il entre en larmes dans sa classe, mais tout le monde, absolument tout le monde, lui répète qu'il va vivre quelque chose de formidable. La maîtresse le prend par la main, lui présente les trésors de sa caverne d'Ali Baba, sa maman l'abandonne en prétendant qu'il va bien s'amuser, se faire des tas d'amis, et se garde bien, si nécessaire, de cacher les larmes qui lui viennent. La directrice ferme les portes de l'école à double tour et passe d'un air suave s'assurer que tous ces petits s'adaptent bien en leur promettant un bonheur éducatif sans limite.
  Évidemment, par la suite, les choses se corsent. Petit à petit, année après année, les coins poupées et autres jouets disparaissent, remplacés par les pupitres rigoureusement alignés, les appréciations du style « bravo tu as réussi !» se convertissent en chiffres, le cahier de vie en carnet de notes, les récréations raccourcissent, les devoirs du soir font leur apparition, les punitions tombent, les enseignants deviennent de plus en plus nombreux et de plus en plus rébarbatifs. Le pays des merveilles s'effrite, et en quelques années l'école dévoile son vrai visage passablement rebutant. Mais il est trop tard, l'enfant est pris dans le système, et il ne lui reste plus qu'à franchir un à un les échelons qui le séparent de la fin de ses études – pour tomber dans le monde professionnel, peut-être encore plus exécrable, mais ne changeons pas de sujet.
  Nous parents, sommes donc les complices de cet état de choses et comptons sur les enseignants pour adoucir les premières années scolaires de nos enfants.
  Jusqu'à un certain point malgré tout.
  Hier matin, de retour de l'école, notre grand élève de moyenne section me demande si je souhaite écouter la poésie qu'il vient d'apprendre –  en réalité les deux premiers vers, il se trouve qu'il a oublié le reste. L'air attentif et fier, pénétrée de ma responsabilité de mère conspiratrice, je me penche légèrement pour entendre le début de ce magnifique poème.
« Si je restais tout le temps à la maison,
Je n'apprendrais rien du tout »
  J'avoue que je suis restée assez abasourdie. J'avais pourtant la vague impression que son père et moi nous avions tant bien que mal appris deux ou trois toutes petites choses à notre fils. Marcher, parler, dire merci, bonjour, enfiler un manteau, tenir un crayon, faire du vélo, partager ses jouets, réciter l'alphabet, compter, connaître les couleurs, les saisons, et encore quelques insignifiantes futilités.
  Faire croire à l'enfant qui rentre à l'école qu'il fait ses premiers pas dans un monde merveilleux, c'est un mensonge nécessaire, certes. Mais tout de même, lui laisser penser qu'il n'a rien appris chez lui auprès des ignares qui lui servent de parents, c'est peut-être pousser la propagande un peu loin, non ?

lundi 19 septembre 2011

Dommage collatéral

  Il lui avait été rapporté des Etats-Unis par son frère, et Monsieur l'avait en sa possession depuis de longues années. Plus de dix ans, évidemment, puisque l'objet dont je parle, un mug en porcelaine, était illustré sur toute sa surface par la silhouette en noir et blanc des gratte-ciels de Manhattan, et parmi eux les deux tours jumelles s'élevant bien au dessus de leurs semblables.
  Depuis notre mariage, il a rejoint le lot commun de vaisselle dépareillée qui remplit nos meubles de cuisine et nous a rendu de grands services. Thé, café, chicorée, infusions, grogs... matin et soir, sans faiblir, sans se soucier du contenu, fidèle au poste, il a toujours été là pour nous.
  Le 11 septembre 2001, il n'a pas bronché. Il a continué à nous servir courageusement. Les tours jumelles n'étaient plus, mais il en présentait toujours le profil en noir et blanc, et, au fil des années, il a même pris la patine d'un objet emblématique, souvenir d'un paysage défunt, témoignage d'une époque révolue, et nous nous en servions précautionneusement en le considérant quasiment comme une pièce de musée.
  Le 12 septembre 2011, il y a une semaine, comme chaque soir, j'y ai déposé un sachet d'infusion et je l'ai rempli d'eau chaude, sans savoir que c'était la dernière fois. Clac clac... le craquement était explicite, et une grande fêlure est apparue, pas loin de la poignée, aussi haute que le dessin du World Trade Center. Il aura tenu dix ans après les faits, dix ans et un jour. Et puis, du jour au lendemain, le désespoir qui le minait a fini par le briser.
  Heureusement mon beau-frère avait rapporté un autre mug d'un autre de ses voyages. C'est pourquoi je supplie les terroristes du monde entier de ne pas s'attaquer à la Tour de Londres.

mercredi 14 septembre 2011

Guide de survie en milieu parental

  Quand on a des enfants, il y a quelque chose qu'on supporte mal, en général, ce sont les critiques – ou parfois de simples regards de travers – de tierces personnes indiscrètes qui portent un jugement sur les principes d'éducation que vous tentez d'appliquer tant bien que mal à votre progéniture.
  En contrepartie, si vous voulez rester en bons termes avec les autres parents que vous fréquentez, il est absolument indispensable de garder une parfaite neutralité au cas où vous assistez au spectacle de leur talent, ou de leurs lacunes, d'éducateur, et plus encore s'ils leur vient l'idée dangereuse de vous faire des confidences sur leurs difficultés éducatives, ou, pire, d'avoir l'air de vous demander conseil. Flairez le piège, restez sur vos gardes, surtout ne donnez pas votre avis, ayez l'air aussi indifférent que possible, toujours très compréhensif, tâchez de laisser penser que tout vous paraît normal, que vous aussi vous avez beaucoup de mal avec vos enfants, et, tout en faisant mine d'avoir déjà oublié ce dont on vous entretient, concluez d'un ton poli et vague sur une banalité du genre « ça va s'arranger », « c'est normal », « c'est une question de temps» ou bien « ça dépend des enfants, ils sont tous différents ».
Exemple n°1 :
  Lundi matin, une jeune femme de mes connaissances s'effondre en larmes devant moi en expliquant qu'elle a été convoquée par la directrice de l'école de son fils, celui-ci ayant mordu jusqu'au sang l'oreille d'un de ses petits camarades de maternelle.
Mauvaise réponse : « Oh quelle brute, je me demande si Néron mordait ses petits camarades ? »
Bonne réponse (air un peu blasé, distrait, les yeux baissés pour dissimuler tout sentiment d'effroi) : « ah,oh, oui, ça arrive, c'est encore un enfant après tout. »
Exemple n°2 :
  Hier matin, je reviens de l'école en compagnie du père d'une petite fille de l'établissement. J'apprends que jusqu'ici sa petite deuxième, un an et demi, réclamait deux biberons de lait chaque nuit. Il m'annonce fièrement que sa femme et lui ont, enfin, décidé que c'était terminé, avant de me demander si mes enfants, eux, dorment bien.
Mauvaise réponse : « Eh bien ce n'est pas trop tôt, je n'aurais jamais pu supporter cela, vous avez vécu un enfer ! »
Bonne réponse (en réprimant son envie de rire, sur un ton indifférent) : « Ah, oui, oh, c'est vrai, maintenant elle est grande, mais vous savez, parfois les miens font des petits cauchemars. »
Exemple °3 :
  Je vous ai parlé de ces parents qui me prennent pour Wonder Woman. Je rencontre Madame hier après midi, toujours à la sortie de l'école. Elle espère que le bébé qu'elle attend sera aussi discipliné que mes enfants, qui tiennent bien la poussette pendant tout le trajet, tandis que son fils, lui, est très vif, et ne tient pas en place.
Mauvaise réponse : « Vous savez, s'ils sont sages c'est qu'ils n'ont pas le choix, je ne supporterais pas de devoir leur courir après dans la rue, c'est dangereux »
Bonne réponse (d'une voix modeste et pleine de sagesse) : « Oui, ça dépend des enfants, c'est vrai, il y en a de plus vifs que d'autres ».
  Si vous suivez bien ces conseils, vous parviendrez à entretenir de bons contacts avec toutes vos relations. Ce n'est pas de l'hypocrisie, ce n'est pas du mensonge, c'est une question de survie en milieu parental. Et si, vraiment, vous en avez trop lourd sur le cœur, vous pouvez toujours tenir un blog. Ça soulage.

lundi 12 septembre 2011

Madame Proprette

  Madame Proprette, c'est le titre de l'un des tout premiers livres que j'aie jamais lus, dans la fameuse série des « Monsieur et Madame ». Il m'avait été offert lors d'un anniversaire auquel j'avais été invitée, lorsque j'avais peut-être quatre ou cinq ans, et je me souviens encore que Madame Proprette, avec son joli chapeau bleu et ses lunettes, passait son temps à briquer sa maison, qui « brillait comme un sou neuf ».
    Malheureusement, cette lecture précoce ne m'a pas donné le goût du ménage ni la passion de l'hygiène. Je suis bien obligée de temps en temps de passer la serpillère ou l'aspirateur, mais j'ai une tolérance assez large pour les vitres sales, la poussière sous les tapis et les miettes sous la table. Sans cela, d'une part je n'aurais pas eu trois enfants, parce que les enfants, c'est salissant, d'autre part je n'aurais pas créé de blog, parce que le temps passé à écrire un article, c'est autant de temps passé à ne pas récurer son intérieur.
    Et pourtant, j'ai rencontré Madame Proprette. La vraie, dans la vraie vie, puisqu'elle habite l'étage du dessous, au rez-de-chaussée, juste à côté des maniaques du bruit. Madame Proprette-dans-la-vraie-vie ne ressemble pas beaucoup à son modèle, elle n'a pas la silhouette rondelette de l'original, ni le petit chapeau rond. Elle est blonde, mince, âgée d'une trentaine d'année, en ménage (sans jeu de mot) avec Monsieur Propre, évidemment, et elle est toujours bien coiffée.
    J'avais commencé à repérer le phénomène dès notre arrivée dans l'immeuble. C'est tout de même rare d'avoir une voisine que vous découvrez un jour sur deux en train d'astiquer ses rebords de fenêtre. Oui, et c'est d'ailleurs comme cela que j'ai appris que cela se lave, les rebords de fenêtre, à l'extérieur bien-sûr. Les leurs sont les seuls de toute la résidence à présenter une surface d'un blanc immaculé, sans une trace de poussière.
    Par la suite, j'ai croisé plusieurs fois notre voisine avec un seau dans une main, un balai brosse dans l'autre. Je suppose qu'elle nettoie sa place de parking souterrain une ou deux fois par semaine. Surtout que Monsieur Propre, lui, prend le temps régulièrement de laver leur grosse voiture sur le parking, et il serait dommage qu'elle reprenne la poussière au sous-sol.
    Monsieur Propre et Madame Proprette attendent le week-end avec impatience, je suppose, pour pouvoir enfin éliminer toute la saleté accumulée pendant la semaine. Samedi dernier, je m'occupais, moi aussi, à ranger et nettoyer notre appartement – bien obligée, nous avions des invités. Monsieur est rentré alors de sa course en me racontant la scène à laquelle il avait assisté : Madame Proprette et Monsieur Propre étaient en train de procéder à l'examen minutieux du morceau de façade derrière lequel se trouve leur appartement. Les rebords de fenêtre, mais aussi la gouttière, les joints, l'enduit, les montants des vitrages, les stores, le dessous des rebords de fenêtre, l'envers des gouttières, rien n'a échappé à leur état des lieux, tandis qu'ils dressaient la liste exhaustive des travaux de nettoyage à effectuer. Je pense qu'ils étaient en train de préparer le programme de leurs vacances de la Toussaint.
    D'ailleurs s'ils n'ont rien à faire le 11 novembre, ma porte leur est grande ouverte.

jeudi 8 septembre 2011

Wonder Woman is back

  C'est la rentrée pour les enfants, cela vous le savez déjà, mais c'est aussi en quelque sorte la rentrée pour moi : après deux mois d'été, voici revenu le temps où, quatre fois par jour, je prends le chemin de l'école derrière ma poussette, avec un enfant de chaque côté, où je parcours le même itinéraire, aux mêmes heures, avec devant et derrière nous les mêmes parents accompagnant les mêmes enfants à la même école. Finis les petits déjeuners interminables, les matinées pyjamas jusqu'à midi et les horaires à géométrie variable ! A moi les quatre kilomètres quotidiens, le temps qui file à toute allure au rythme inflexible des quatre allers-retours, les déjeuners à heure fixe l'œil rivé sur l'horloge, et l'impression désagréable d'être toujours un peu en retard.
  Pourtant, jusqu'à ce matin, je n'avais pas l'impression de réaliser des exploits. C'est vrai que je vois peu de familles de trois enfants se rendre à pied à l'école sur cinq cents mètres, c'est vrai que quand j'ai commencé les trajets l'an dernier, notre deuxième enfant avait tout juste deux ans et marchait courageusement là où beaucoup d'élèves de maternelle âgé de plus de trois ans sont conduits en poussette sur des distances moindres. Mais je n'avais pas encore compris l'ampleur du phénomène.
  Ce matin, donc, je rentre de l'école en compagnie de l'un des compagnons de route que je rencontre habituellement sur le trajet, le père d'une camarade de classe de mon fils, résidant dans notre rue. Il m'apprend qu'un troisième enfant est attendu chez eux, et semble me demander conseil, à moi qui en ai déjà trois, sur des questions pratiques telles que la surface du logement, le nombre d'enfants dans une chambre. Il s'inquiète un peu, au point que je me demande s'ils avaient vraiment prévu d'agrandir la famille. Tout en portant sa fille de trois ans sur les épaules – elle n'a jamais fait le trajet que de cette manière – il me confie que sa femme compte s'arrêter de travailler quelques mois (« tant pis, on mangera des patates »), et qu'elle appréhende les quatre allées et venues par jour pour l'école.
« Oui, parce que ma femme et moi, à chaque fois, on est impressionnés de voir comment vous gérez les trajets avec les trois enfants ! »
  Ce matin, j'ai enfin pris conscience de mes super-pouvoirs. Et en plus on ne mange pas que des patates.

mardi 6 septembre 2011

Souvenir de rentrée scolaire

  Ce n'est pas la première fois, mais décidément, Aline n'aime pas la rentrée. Pourtant, l'année précédente, en petite section, s'est très bien passée, et, en moyenne section, la maîtresse a la réputation d'être aussi gentille que celle de l'année dernière, mais Aline se demande bien quel est l'intérêt de venir passer des heures à faire la sieste, sortir en récréation, et jouer au coin cuisine ou bien coller des gommettes. En plus cette année la salle de classe n'est plus située juste à l'entrée de l'école, il faut désormais traverser toute la cour, se frayer un chemin entre les enfants plus grands qui courent sans faire attention aux plus petits, monter plusieurs marches, louvoyer dans un étroit couloir surpeuplé.
  Aline a pris son courage à deux mains, en ce jour de rentrée. Ses vêtements étaient tout préparés la veille, soigneusement choisis pour faire bonne impression. Depuis quelques nuits elle rêve de la journée à venir, avant-hier elle se voyait en CP, elle n'a pourtant pas l'âge. Le trajet, elle le connait par cœur, il lui paraît toutefois un peu plus court que l'année passée – les petites jambes ont grandi pendant l'été !
  Une masse de papas et de mamans se pressent devant les portes de l'école, Aline étouffe un soupir. Là, ça y est, les vacances sont vraiment finies. D'ailleurs il fait froid, le vent souffle, la plage et ses châteaux de sable paraissent si loin... Non, vraiment, il y a trop d'adultes, on dirait qu'ils sont plus nombreux que les enfants ! Elle se fait toute petite en reconnaissant les élèves de la classe et leurs parents, mais, évidemment, il y en a quelques uns qui lui adressent la parole, elle est bien obligée de répondre. Oui, moyenne section cette année, oui, elle a passé de bonnes vacances. Bizarrement, tout le monde a l'air de supposer qu'elle est contente de reprendre le chemin de l'école.
  Enfin les portes s'ouvrent. Par réflexe elle se fait toute petite en passant devant la directrice, c'est toujours impressionnant une directrice ! Elle peut vous convoquer dans son bureau, d'ailleurs tous les enfants la craignent un peu. Si tu n'es pas sage je vais en parler à Madame Vincent, disent les maîtresses aux élèves turbulents.
  Aline arrive devant la classe, identifie le porte-manteau en reconnaissant le prénom sur l'étiquette, y accroche sac et manteau, avant de prendre rang dans la file d'attente des écoliers accompagnés de leurs parents qui font connaissance avec la maîtresse. Elle jette un coup d'œil timide à la salle de classe, aux petites tables, aux jeux, tout cela ressemble à la classe de l'année dernière. « Bonjour Madame » dit-elle poliment à l'enseignante lorsque son tour arrive.
  La maîtresse sourit gentiment. « Bonjour Madame, répond-elle à Aline. Comment s'appelle ce grand garçon ? »
  La rentrée est faite, c'était hier. Aline est rentrée chez elle, avec un enfant de moins. Il paraît qu'elle me ressemble un peu.

dimanche 4 septembre 2011

Génération spontanée

  Mes parents habitent une résidence très agréable, à une exception près : leur voisin du rez-de-chaussée, qui n'est aimable avec personne, et qui devient franchement désagréable si par malheur vous vous trouvez accompagnée de jeunes enfants. J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte à plusieurs reprises, comme cette fois où je m'apprêtais, avec deux enfants de moins de trois ans dont un dans sa poussette, à monter dans l'ascenseur prévu pour quatre personnes, quand Monsieur Bilermal m'a lancé, d'une voix sarcastique et amère, redoutant une détérioration de l'engin élévateur et par conséquent une augmentation de ses charges de copropriété :
"Ce n'est plus un ascenseur, c'est un monte-charge !"
  Heureusement, Monsieur Bilermal ne quitte plus guère son appartement ni son lit médicalisé, et j'ai donc le soulagement de le croiser moins souvent qu'auparavant. Pourtant, avant-hier, les trois enfants, leur grand-mère et moi-même nous rentrons de promenade, et j'aperçois Monsieur Bilermal à qui l'idée est venue ce jour-là de traverser le couloir d'entrée pour venir, derrière son déambulateur, relever le courrier. Un raclement de gorge sonore nous accueille en terrifiant les enfants au passage. Monsieur Bilermal ne dit pas bonjour, mais, s'en retournant avec difficulté jusqu'à son appartement, s'adresse à leur grand-mère en ignorant royalement la mère inconsciente que je suis, et déclare, sur un ton aussi aigre que caustique :
"A chaque fois que je vous vois, j'ai l'impression qu'il y en a un de plus."
  Je vous rassure, mes enfants ne sont pas des Gremlins. Ils ne se multiplient pas au contact de Monsieur Bilermal.

vendredi 2 septembre 2011

Question pour une championne

  Il y a une chose qui m'insupporte, ce sont ces personnes qui ne vous posent aucune question quand vous les rencontrez, ne vous renvoient même pas les vôtres, et ne s'intéressent pas à vous le moins du monde.
  Pour Tante Claudine, c'est différent. Ce qu'elle ne supporte pas, surtout quand il s'agit de ses propres petits-enfants, c'est la curiosité déplacée de ces personnes qu'elle juge trop pressées de voir grandir les enfants des autres, impatientes de les voir franchir une à une les étapes de leur croissance, piaffant de les voir passer leur bac et leur permis de conduire à peine sortis du ventre maternel.
  C'est ce que Tante Claudine a essayé de faire comprendre, avec une ironie décapante, à son beau-frère qui lui demandait aimablement des nouvelles de sa petite-nièce Céline, un an et quelques (dont Tante Claudine est la grand-mère, vous l'aurez compris) :
« - Et Céline, que fait-elle, elle marche, elle commence à parler ?
- Et puis quoi encore, une grande école aussi, peut-être ! »
  Non, mais, reconnaissez-le, il l'avait bien cherché quand-même.

jeudi 1 septembre 2011

J'aime pas les filles (moi non plus)

  Autant les vacances sont faites pour constituer des moments agréables loin des contraintes de la vie quotidienne, autant les journées passées à accomplir le trajet aller ou retour comptent généralement parmi les plus pénibles de l'année.

  Cet été, nous avions déjà plusieurs centaines de kilomètres sous les roues, passés à parcourir d'immenses paysages désespérément monotones, lancés à vive allure sur l'autoroute, avec malgré tout l'impression de nous traîner, entre la bande d'arrêt d'urgence et la glissière de sécurité, ayant pour toute distraction le choix de la file de péage la plus rapide et des considérations sur le temps pluvieux laissant mal présager de ce début de vacances.

   Malgré notre envie d'arriver le plus vite possible à destination, certaines nécessités physiologiques ont rendu indispensable un arrêt sur une aire d'autoroute remarquable uniquement par le fait qu'elle ne se distingue absolument pas des autres dizaines d'aires d'autoroutes françaises. En veillant à ne pas nous diriger vers le parking poids-lourds, nous cherchons une place de stationnement, admirons l'originale architecture de la station service et le magnifique aménagement paysager des lieux, et coupons le moteur et les essuie-glace.

   Monsieur se dévoue et me laisse galamment la priorité pour rejoindre ce haut lieu de l'inégalité entre les sexes, dernier vestige de discrimination entre hommes et femmes, pourtant trop rarement combattue par les féministes : la queue des toilettes de l'aire d'autoroute. Alors que ces messieurs n'en ont que pour une ou deux minutes d'attente, la file des dames s'étend sur une dizaine de mètres, sous la pluie - j'aurais pu choisir les installations abritées et confortables de la station service, mais la queue y est au moins deux ou trois fois plus longue ; j'attends donc que le temps passe. J'ai tout loisir de constater que les autres voyageuses, comme moi, ont pensé naïvement ce matin qu'elles pouvaient se chausser de nu-pieds, tongs ou espadrilles légères pour leur départ en vacances. Grossière erreur, on patauge dans la boue. Je me félicite en revanche d'être quasiment la seule à pouvoir m'abriter sous un parapluie. La file d'attente avance à un rythme désespérément lent. Je pense à Monsieur et aux enfants, calfeutrés dans la voiture, pour qui l'attente doit être longue aussi ; je détermine un algorithme qui me permet de calculer la durée moyenne du passage d'une personne dans ces "lieux d'aisance", si l'on peut dire, et j'en déduis qu'il ne me reste pas moins de quinze minutes d'attente. Mes consœurs devant moi sont de plus en plus trempées, les shorts et petits vêtements d'été dégoulinent, tandis que le bruit régulier et tout aussi humide de la chasse d'eau, suivi d'un grincement de porte, annonce la sortie de chaque voyageuse enfin délivrée de la corvée, et précède un imperceptible mouvement de progression de la file d'attente. Au bout de longues minutes, j'entrevois enfin l'intérieur du sanctuaire et les portes des trois cabines qu'il abrite. C'est alors que l'une des dix femmes qui me séparent encore du but tant espéré s'avance, mue par une découverte extraordinaire autant que salutaire.

   Sur les trois cabines, une seule est réellement utilisée par ces dames de la file d'attente. Deux autres, en parfait état de fonctionnement, ont été boudées, au moins depuis mon arrivée, par toutes les utilisatrices, se limitant volontairement à la fréquentation de la troisième, triplant par conséquent la durée d'attente. Pourquoi donc ? Pour quelle raison ces femmes consentaient-elles toutes à piétiner dans la boue, trempées jusqu'aux os par la pluie froide ? Tout simplement parce que, contrairement à la troisième cabine, il s'agissait de WC à la turque.

   Je ne vais pas vous mentir en vous disant que j'aime les WC à la turque. Mais plutôt que de perdre encore dix minutes à m'impatienter sous l'averse, j'ai pris mon courage à deux mains, et je suis entrée, doublant le reste de la file, en maudissant les extraordinaires exigences de toutes celles qui m'avaient fait perdre de précieuses minutes dans des conditions de température et de pression atmosphériques aussi défavorables.

   Faut-il encore s'étonner si on traite les filles de chochottes ?