Jeanne a trois ans, bientôt quatre, ses parents habitent dans le quartier, et elle fréquente la même école que mes enfants. Le matin, souvent, je fais une partie du chemin en compagnie de son père qui la dépose dans sa classe avant de conduire la petite soeur chez la nourrice. Plus rarement, je rencontre leur maman, en général déjà partie à cette heure-là pour la capitale où elle occupe d'importantes responsabilités au sein de la Bibliothèque Nationale de France, département Antiquité.
Les parents de Jeanne se sont rencontrés sur le tard, lui a dépassé la quarantaine, elle en approche rapidement. Avec ses cheveux relevés en chignon, son air concentré, son style vestimentaire classique, un peu vieillot, la maman de Jeanne ne dénote certainement pas dans une bibliothèque. La fréquentation de l'école et des autres parents l'a tout de même poussée à abandonner ses jupes au genou portées avec des ballerines pour des jeans ou pantalons. La maman de Jeanne a toujours beaucoup aimé l'école, le jour de la rentrée de sa fille de deux ans et demi en toute-petite section, elle exprime le souhait que l'institution scolaire transmette « le goût d'apprendre » à cette dernière.
Les parents de Jeanne sont plutôt sympathiques. A force de les voir au parc, sur le chemin de l'école, nous nous sommes invités une ou deux fois à dîner. « On devrait faire cela plus souvent, sortir en laissant les enfants, ça fait du bien. ». Les parents de Jeanne sont souvent fatigués : leurs filles les réveillent la nuit, et leur rythme de vie, avec les trajets vers Paris pour elle, les déplacements professionnels à l'étranger pour lui, et les différentes garderies, baby-sitters et nourrices pour leurs enfants, est assez compliqué.
Les parents de Jeanne nous ont reçus dans la maison mitoyenne qu'ils ont acquises il y a deux ans dans le quartier. La maman de Jeanne voudrait un bureau plus spacieux pour travailler à domicile et ranger ses livres – elle rédige un mémoire – , elle se demande s'ils ne vont pas déménager bientôt. Le papa de Jeanne fait du golf et de la planche à voile, pendant les vacances ils partent sur la côte dans la maison familiale.
Les parents de Jeanne se soucient beaucoup pour leurs filles. Ils aimeraient être plus présents auprès d'elles, c'est difficile avec leurs professions. Ils observent anxieusement leur développement, celui de Jeanne surtout, qui est plus « dans l'affectif », la petite soeur est plus facile. Ce qui les préoccupe le plus, c'est ce que leur a dit la maîtresse au sujet du comportement de Jeanne en classe. Depuis plusieurs mois, souvent, ils m'en reparlent entre 8h20 et 8h25, les sourcils froncés, l'air inquiet. Quand nous les avons invités à dîner aussi, et au parc. Les mois passent mais l'enseignante ne voit pas d'amélioration. Jeanne ne progresse pas beaucoup, de ce point de vue là. Bien-sûr, elle a su écrire son prénom à l'âge de trois ans et demi, mais pour le reste, c'est assez inquiétant.
Car Jeanne est une « suiveuse ». A l'école elle observe ce que font ses camarades, et elle les imite. Elle ne prend jamais d'initiative. Parfois même il lui arrive de jouer seule dans son coin.
Ils ne le disent pas, mais cela se déduit de leurs propos : les parents de Jeanne, avec son trench beige à lui, son chignon strict à elle, derrière leur poussette Mac Laren, auraient tellement aimé que leur fille soit une leader.