dimanche 16 juin 2013

In vino veritas

Je vous avais promis des nouvelles de Béatrice suite au goûter que j'ai pris chez elle comme convenu dans le dernier échange de mails un peu excentriques dont je vous avais transmis la teneur.

Hélas Béatrice ne m'a pas invitée à boire de délicieux et antiques breuvages tirés d'archaïques amphores à l'effigie du dieu du vin et de la vigne, et je suis repartie de chez elle dans un état de sobriété totale – et de déception certaine.

Mais vous ignorez que depuis, nous avons reçu Béatrice et son mari, Philippe, à dîner à la maison.

Je vous avouerais que j'étais un peu tendue à l'approche de cette soirée. Vous comprendrez que je me fixais comme point d'honneur, et comme objectif impérieux, de ne pas descendre, dans l'échelle de valeur de l'Univers, en-dessous du niveau de Philippe qui, je vous le rappelle, n'a aucune culture générale (aux dires de sa femme).

Je me suis même demandé si je ne suivrais pas un ou deux cours universitaires d'archéologie ou d'histoire de l'art pour augmenter mon niveau, mais cela n'était guère possible ; ou si je pourrais glisser quelques livres anciens et rares par exemple sur la table du salon, que j'aurais pu ranger devant elle en expliquant d'un ton embarrassé que – pardon pour le désordre –, j'étais justement en train de lire les œuvres de Thucydide en attendant leur arrivée.

Mais j'ai craint de me laisser prendre à mon propre piège si par hasard elle entamait la conversation sur la guerre du Péloponnèse au risque qu'elle découvre mon ignorance assez pointue somme toute en la matière, sans compter que de toute façon je n'ai chez moi pas l'ombre d'un ouvrage de Thucydide.

Par conséquent, je me suis contentée de faire disparaître les bandes dessinées qui traînaient au salon et de dissimuler le programme de télévision à l'effigie de je ne sais quelle Nabila ou Nikos Aliagas (qui n'a pas l'avantage d'être un grec antique), et j'ai décidé de tout miser sur la cuisine – et sur la boisson, en encourageant mon mari à servir de généreux apéritifs et à ouvrir une ou deux bonnes bouteilles d'un rosé frais et agréable qui, quoique n'étant pas issu d'une vigne hellénique, serait favorable à l'établissement d'une atmosphère détendue et indulgente.

C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés autour d'un repas dont les différents plats et boissons ont eu l'honneur d'être appréciés de Béatrice et de Philippe.

- Philippe apprécie beaucoup la bonne chère, a confié Béatrice.

J'en ai déduit que la gastronomie est peut-être le dernier pan de culture dont peuvent se prévaloir les ignares.

Pourtant, ce que je redoutais est arrivé. Entre le plat et le fromage, à l'occasion d'un détour de la conversation, Béatrice, que son métier a amenée à voyager dans de nombreux pays du monde, nous a demandé si nous avions visité l'Italie.

- Comment ! Vous n'avez pas mis les pieds en Italie ! s'est-elle exclamée. L'Italie... Venise, Naples, Rome...

Elle a eu beau le dire gentiment en rajoutant qu'elle nous enviait d'avoir encore à découvrir ce pays magnifique, j'ai senti que je perdais quelques points dans la fameuse échelle de valeur de l'Univers. D'autant que j'ai entendu aussitôt Philippe déclarer :

- Nous avons fait Rome trois fois, Béatrice et moi.

Philippe a surement repris l'avantage, ai-je tremblé intérieurement.

Mais j'ai rapidement poussé un soupir de soulagement en écoutant Béatrice reprendre son mari qui venait encore une fois de prouver son absence totale de culture générale :

- On ne dit pas « on a fait Rome », mon chéri, mais « on est allé à Rome ».

J'étais donc plutôt rassurée et c'est justement à ce moment-là que, plus détendue et moins sur mes gardes, peut-être aussi un peu sous l'effet du rosé, j'ai failli perdre le contrôle de la soirée en commettant un énorme faux-pas irrécupérable alors que Philippe donnait son avis sur les programmes télévisés.

- De toute façon, à part Thalassa et Des racines et des ailes, il n'y a rien à voir.

- Mais si, bien-sûr que si, il y a LES REINES DU SHOPPING ! ai-je bien failli m'écrier avant de me pincer les lèvres et de partir à la cuisine me passer un peu d'eau glacée sur les tempes afin de reprendre mes esprits.

Enfin l'heure du départ est arrivée pour Béatrice et Philippe sans autre péripétie culturelle notable. En se dirigeant vers l'entrée, Philippe a avisé une gravure représentant la basilique Sainte Sophie, qui nous avait été offerte par mon beau-frère lors d'un voyage à Constantinople.

- Ah, vous avez une gravure de la basilique Sainte Sophie ?

- Mais oui mon chéri. On est chez des gens bien, tu sais.

Cette ultime réflexion m'a donné la confirmation totale et définitive de mon net avantage sur le pauvre Philippe et sur son score assez minable par rapport au mien dans l'échelle de valeur de l'Univers.

- Oh la la, je n'aurais pas dû boire autant, je me sens presque un peu ivre, a constaté Béatrice avant de s'engouffrer dans l’ascenseur au bras de son mari.

Ce qui me fait deux victoires pour une seule soirée. La première, sur un plan culturel, contre Philippe.

La seconde contre Béatrice. Quelle que soit son érudition en matière d'amphores, elle tient beaucoup moins bien l'alcool que moi.

 

ivresse.jpg

 

 

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8 commentaires:

  1. Cultivée, peut être, mais sans éducation, la brave dame... Sinon, elle tiendrait l'alcool, et si ce n'était pas le cas, elle ne se vanterait pas d'avoir éhontément dépassé la mesure... Non mais !!!

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  2. Ils n'ont pas fait rhum ? Voyage garanti...

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  3. Quel beau récit,j'adoore ,il me tarde l'invitation retour ..... Continuez de nous régaler !!! BONNE JOURNÉE laetitia

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  4. Les oeuvres de Thucydide, ça se trouve très facilement sur internet, tu sais...

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  5. Tu aurais pu emprunter des livres à la bibliothèque (et enlever provisoirement les autocollants antivols...). Et comme le disent gentiment les enfants : "Sur Wikipédia il a tout ce qu'il faut savoir en peu de lignes. Et même que la prof d'histoire ferait mieux de pomper ses cours sur Wikipédia. Ce serait plus complet et mieux dit, accessoirement plus intéressant aussi !" Alors avant la prochaine invitation, un petit tour sur Wikipédia au lieu de venir lire mon blog (et bien sûr, tu te rattraperas en suite !)

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  6. Hips, elle est bien bonne celle-là !

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  7. C'est génial, j'adore ton billet. Tenir l'alcool est une vraie qualité me semble-t-il... Je pense que Béatrice au fond est moins snob qu'elle n'y paraît, elle a peut-être juste gardé des réflexes de conservateur-chartiste. Elle n'aurait jamais épousé Philippe si elle n'avait pas un peu de simplicité en elle. Bon je dis ça je dis rien. Ps: Sinon, c'est son vrai nom? Tu n'as pas peur qu'elle se reconnaisse un jour, par hasard? Ca, ce ne serait pas banal hein?!

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  8. <a href="http://17 juin 2013 à 17:22

    On se fait une compétition, mon cher Balthazar ? (Bière ou rhum, à vous de choisir)

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