L'année suivante, Mademoiselle Duplanchois a été affectée dans un autre établissement, et je ne l'ai jamais revue, quoique je ne l'aie jamais oubliée. Il y a trois mois, un soir où, exceptionnellement, je passais la soirée seule à la maison, l'idée m'est venue de rechercher sa trace sur le web. Je me souvenais parfaitement de son nom, de son prénom, et j'ai immédiatement trouvé son profil sur « copains d'avant ».
De toute la soirée je n'ai pu détacher mes yeux de la photo que j'y ai trouvée, ni mes pensées de la présentation qu'elle a rédigée. La jeune fille de vingt-cinq ans qui, dans mes souvenirs seulement, n'avait pas changé, est devenue, et j'aurais dû le prévoir, une femme mûre approchant de la quarantaine. J'ai reconnu son sourire, sur cette photo où elle se présente entourée de ses trois jeunes enfants, mais la juvénilité dont je me souvenais a disparu de ses traits plus marqués et moins souples qu'auparavant.
J'ai appris, avec le même saisissement, dans le court paragraphe de présentation qu'elle a rédigé elle-même, le prénom de ses enfants, son lieu d'habitation, dans les environs du collège où j'étais élève et où elle avait dispensé parmi ses premiers cours, sa volonté de se reconvertir dans une autre profession, ainsi que son récent divorce : « à nouveau célibataire depuis peu » précise le texte. Suivait un chaleureux encouragement, destiné à ses amis perdus de vue, ainsi qu'à ses anciens élèves, à reprendre contact avec elle, ce qu'elle disait apprécier vivement.
C'est ce que j'ai fait. Le soir même, j'ai rédigé un long mail, dans lequel je lui faisais part de l'admiration que j'avais pour le jeune professeur plein d'entrain qu'elle était, des souvenirs des cours qu'elle nous avait dispensés, des lectures qu'elles nous avait conseillées. Je lui donnais, sans savoir si elle se souvenait de moi, de rapides nouvelles de ce que je suis devenue depuis cette année de quatrième, exprimant ma satisfaction d'avoir trouvé sa trace et de pouvoir lui faire savoir quel souvenir vivace j'avais gardé d'elle.
Cela fait trois mois que j'ai envoyé ce message. Contrairement à ce que je prévoyais, je n'ai jamais reçu de réponse. Mais à la réflexion, je me demande s'il lui a fait vraiment plaisir. Je me demande si ce courrier ne l'a pas ramenée un peu cruellement à l'époque où, toute jeune, elle amorçait sa vie avec l'optimisme et l'assurance de la jeunesse, à la période où elle débutait tout juste dans un métier qu'elle aimait, où toutes les possibilités s'offraient à elle, où toutes les promesses de la destinée restaient à cueillir – elle qui, quinze ans plus tard, a perdu son goût pour une profession, il faut le reconnaître, souvent ingrate, qui a vu son foyer éclater, qui ressent sans doute la crainte que ses meilleures années ne soient derrière elle et le poids de ses presque quarante années.
Je me demande aussi si les nouvelles que je lui donne de ma propre personne, moi qui n'ai finalement que trois ans de plus qu'elle n'en avait alors, de ma situation personnelle, du fait que j'ai le même nombre d'enfant qu'elle, je me demande si ces nouvelles n'ont pas accentué la mélancolie, voire l'amertume, des pensées que mon message, bien malgré moi, a pu faire naître.
Je n'aurai jamais de nouvelles de Pauline Duplanchois, mais je garderai toujours d'elle cet excellent souvenir sur lequel les années n'auront jamais prise.
Oui, un coup de vieux, ça ne fait pas toujours plaisir... mais j'aurais bien aimé une petite réponse tout de même, c'est vrai.
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