jeudi 5 janvier 2012

Inquiétude non recommandée

  Il y a deux jours, en sortant de la maison après le déjeuner pour reconduire les enfants à l'école, je me suis fait héler depuis le trottoir d'en face par notre facteur :

- J'ai un recommandé pour vous, Madame, je le signe pour vous et je le mets dans votre boîte ?

  J'ai acquiescé et poursuivi mon chemin. Un recommandé, je n'en reçois pas tous les huit jours. Tout en tentant d'éviter les poubelles sorties sur le trottoir, les flaques d'eau et autres obstacles, je laisse aller mes pensées.

- Notre agence immobilière ? La dernière fois que nous avons reçu un recommandé, elle nous demandait d'un coup le règlement de dix-huit mois de chauffage et d'eau chaude (que nous croyions alors compris dans les charges). Nos propriétaires voudraient-ils récupérer leur logement ? Ce ne serait pas une nouvelle beaucoup plus agréable. Un calcul rapide... il faudrait déménager en juin prochain. Au moins nous n'aurions pas à changer les enfants d'école en cours d'année. Une bourrasque soudaine et la vision d'une cinquantaine de cartons et de rouleaux de scotch me font frissonner.

- Et si j'avais gagné au loto... ? Encore eut-il fallu que j'achète un billet. C'est peut-être un jour de chance, qui sait ? J'évite de justesse une magnifique production canine parmi celles qui parsèment le trottoir. « Attention où vous mettez les pieds, les enfants ! »

- Une lettre de licenciement ? Je suis mon propre patron, et je ne crois pas avoir décidé de me passer de mes propres services. Je relève la tête en souriant malgré l'averse.

- Et l'entreprise de mon mari ? Si elle avait décidé de se passer de ses services ? Cette fois je relève le col de mon manteau. Finalement je préfère encore les rouleaux de scotch.

- L'école primaire des enfants ? Je n'ai pas l'impression qu'ils risquent de se faire renvoyer. Ou alors, le sourire de la directrice, à midi, à la porte, était particulièrement hypocrite... Mais peut-on vraiment se fier à un sourire ? « Dépêchez-vous, vous allez être en retard, les enfants ! » Au pire il y a une autre école dans le quartier, mais elle est un peu plus loin, ce qui veut dire plus de marche à pied sous les bourrasques.

- Le Trésor Public ! Un tremblement me parcourt des pieds à la tête. Ai-je bien réglé nos impôts ? Je tâche de rassembler mes – mauvais – souvenirs. Oui, d'ailleurs je me souviens avoir collé un timbre tarif lent. Souhaitons juste qu'il n'ait pas été trop lent...

- EDF ? GDF ? Surement pas, tout est prélevé automatiquement. Une réponse du Père Noël à la lettre des enfants ? Les lutins doivent pourtant faire l'économie du recommandé... Une nouvelle contravention à 71 km/h au lieu de 70 ? Non plus. Sur le trajet du retour, nous nous arrêtons prudemment au feu. J'énumère mentalement tous les recommandés que j'ai bien pu recevoir dans ma vie : mon diplôme, des copies à corriger pour mon mari,... Je n'ai aucune idée de ce que cela peut-être. Nous traversons. Tout cela n'est pas rassurant.

  Nous croisons à nouveau notre facteur.

- Je l'ai mis dans votre boîte. Il vient de Suisse !

  De Suisse ! Je suis un peu soulagée : cela ne peut-être ni notre agence immobilière – je peux chasser l'image des rouleaux de scotch de mon esprit -, ni le Trésor Public (nous ne sommes pas fiscalement exilés en Suisse), ni l'école, ni la société de mon mari. Reste le loto... l'Euromillion, peut-être. Non, c'est vrai, je n'ai toujours pas acheté de billet. Les trottoirs sont de plus en plus sales, dans le quartier ! Je dois faire slalomer la poussette pour éviter les obstacles malodorants. Ma fille est bien endormie, blottie dans son nid d'ange et enveloppée de deux ou trois couvertures. Son bonnet fait ressortir ses petites joues, il lui va à ravir, c'est un cadeau de...

  Un cadeau de naissance ! J'ouvre fébrilement une grosse enveloppe que je sors de la boîte aux lettres, trop molle pour contenir une mauvaise nouvelle : un inoffensif pyjama bleu nuit, taille six mois, orné de petits nuages blancs, chassant aussitôt ceux qui s'étaient amoncelés dans mon esprit.

  Pourquoi ma cousine, installée en Suisse avec sa famille, a-t-elle envoyé le colis en recommandé, je l'ignore. Peu importe, je suis si soulagée que je n'ai pas même un regret pour l'Euromillion.

  Rassurez-moi, je ne suis pas la seule à avoir l'imagination plus rapide qu'un chronopost ?

10 commentaires:

  1. Ouh lala, chez moi, l'imagination part à la vitesse de l'éclair ! je suis toujours étonnée que Steven Spielberg ne m'ait jamais contactée ; j'lui aurais fait des script d'enfer !

    RépondreSupprimer
  2. Je pense toujours au pire à chaque recommandé...Pour rien finalement ! Je me reconnais bien dans ce psychotage...

    RépondreSupprimer
  3. Tiens, c'est drôle, moi je me dis plutôt : Chouette, un petit recommandé, on va pouvoir s'amuser un peu ! Eh oui, chacun son truc pour remplir le vide abyssal de son existence...

    RépondreSupprimer
  4. Je comprends fort bien votre crainte !

    RépondreSupprimer
  5. Oh non, tu n'es pas la seule. Les recommandés me font toujours cet effet là. J'imagine la saisie d'huissier, le licenciement, les prud'hommes, la convocation au tribunal ou que sais-je. Bref, toujours le pire sans aucune raison d'ailleurs! Ton amie connait simplement les aléas de la Poste française (ou elle y a travaillé)

    RépondreSupprimer
  6. C'est un peu comme lorsque tu es en voiture et tu te retrouves à côté d'un véhicule de Police. Tu n'as rien fait, tu ne téléphones pas, tu roules à 40 à l'heure avec ta ceinture de sécurité, les mains posées à 10 h 10 sur le volant mais tu te figes un instant et tu prends un air presque) coupable.

    RépondreSupprimer
  7. Que nenni... Aucune imagination chez moi... Cela dit, je me demande ce qui est arrivée à la femme de ménage de l'immeuble. Elle avait l'air curieux aujourd'hui. Peut être qu'elle avait une gastro. Non, si ça se trouve elle a reçu un courrier... !

    RépondreSupprimer
  8. Je crois que je suis devenue trop vieille pour jouer à me faire peur. Et ta cousine, dans quel coin de Suisse habite-t-elle ? C'est une affreuse curiosité qui me démange, parce que je suis (aussi) suissesse.

    RépondreSupprimer
  9. Albane, tu dois être rassurée en voyant tous ces gens qui sont comme toi ! Je me rajoute à ce groupe de stressés imaginatifs ^^ Le cadeau a dû te faire terriblement plaisir du coup Bises, bonne journée

    RépondreSupprimer
  10. En effet... Heureusement que le champagne se conserve !

    RépondreSupprimer

Banal ou pas, laissez un commentaire !