mercredi 4 avril 2012

Films noirs

  Je connais Emeline depuis un certain nombre d'année. Emeline a beaucoup de qualités, elle est très gentille, douce et enjouée. Mais elle a un don, qu'elle ne soupçonne même pas, pour jeter un froid dans la conversation. Il suffit de lui demander si elle est allée récemment au cinéma. Ne comptez pas sur elle pour aller voir des films à succès : je doute qu'elle ait jamais entendu parler de Twilight, elle ignore que Tintin a été récemment adapté au cinéma, et elle n'a certainement jamais vu de film en 3 D.

  Cela ne l'empêche pas de se rendre de temps en temps dans une salle obscure, assister à la projection d'oeuvres plus obscures encore, d'autant qu'elle oublie généralement leur titre.

“J'ai vu un film, j'ai oublié son nom, c'était l'histoire d'un homme qui meurt dans les attentats du World Trade Center, et avant de mourir il essaie de téléphoner chez lui, il laisse trois messages sur le répondeur, son fils les découvre et cache le magnétophone pour que sa mère ne les entende jamais, et il passe toute sa vie par la suite à tenter de découvrir ce qu'ouvrait une clé laissée par son père, et en fait elle n'ouvrait rien du tout, mais c'était sa façon de faire son deuil et de retrouver son père.”

  Samedi soir, nous avions réuni quelques proches à l'occasion de la venue d'Emeline, tout le monde était bavard et de bonne humeur deux minutes avant, mais d'un seul coup le silence est tombé. Toute vélléité d'aborder un sujet léger ou drôle semblait devenue tout à fait inopportune. Il n'y avait plus qu'à finir d'une traite son verre de martini.

“C'était très bien, j'ai passé tout le film à pleurer, ça m'a beaucoup plu”.

  Pour rompre le silence, l'un des membres de l'assemblée, espérant sans doute qu'Emeline en vienne à parler d'Intouchables, lui demande :

“Et tu as vu autre chose récemment ?”

“Oui, j'ai vu un autre film, il y a quelques mois, c'était l'histoire d'un adolescent qui avait été abandonné petit par sa mère, il finit par la retrouver, mais elle se drogue, elle le bat, il s'enfuit, il tombe dans la délinquance, à la fin il se suicide après l'avoir tuée.”

  Après quelques instants de silence recueilli, Emeline termine, les yeux brillants :

“C'était très beau, j'ai pleuré pendant tout le film. J'ai beaucoup aimé”.

  Tout d'un coup la vie apparaît aussi sombre que le fond d'une bouteille de porto. On n'entend plus que les glaçons qui s'entrechoquent dans les verres.

“C'était avec un acteur connu, rajoute Emeline, inconsciente du malaise général, attendez, comment s'appelle-t-il... ah oui, Tom Hanks.”

“Ah Tom Hanks !” s'écrie le reste de l'assemblée d'une seule voix, soulagée de pouvoir se raccrocher à un élément connu et positif.

  La ronde des biscuits apéritif reprend, le niveau des alcools descend à nouveau dans les verres.

“Et sinon, Emeline, qu'est-ce que tu lis en ce moment ?”

  Qui a posé la question, je ne m'en souviens plus, mais c'était une mauvaise idée.

6 commentaires:

  1. Ce n'est pas toujours facile de lutter contre les blancs...

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  2. Ce qui s'appelle une personne anxiogène... Gentille, mais anxiogène.

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  3. Quelle horreur, les gens qui aiment les drames et qui s'en délectent. Emeline doit penser qu'il est mauvais de rire dans la vie. On m'a fait un jour le reproche de rire. "Il faut tout prendre avec sérieux". C'était un jeune homme qui me faisait cette déclaration. On pourrait peut-être essayer un rapprochement entre les deux ?

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  4. Les films d'auteur, les films d'horreur, on mélange tout avec un Martini.

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  5. Quelque chose me dit qu'elle est mûre pour aller voir le dernier film russe d'Andrei Zviaquintsev...

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  6. <a href="http://7 avril 2012 à 19:45

    En l'occurence non, elle nous a parlé longuement d'un roman qui m'a paru assez fade et pas très joyeux... (elle n'a pas dit si elle avait pleuré).

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