jeudi 22 janvier 2015

Le fils de Jacinth

Récemment j'ai fait connaissance d'une nouvelle voisine, slovaque d'origine, mariée à un français, arrivée de Dublin avec ses enfants – trois garçons - de l'âge des miens, et je l'ai invitée à prendre un café. Quelques semaines plus tard, elle m'a rendu l'invitation et j'ai sonné à sa porte, avec ma fille de deux ans et mon bébé dans les bras.

Jacinth – c'est le délicat prénom qui est le sien – nous a fait rentrer dans son appartement meublé encore de façon assez rudimentaire.

     - Asseyez-vous Albane, il doit être lourd le baby. OK, je vais chercher le café.

Jacinth parle un français compréhensible mais encore un peu maladroit et émaillé de mots anglais.

Je me suis assise sur le canapé clic-clac – pas pour longtemps. Sous la housse l'assise, complètement défoncée, s'est effondrée sous mon poids et j'ai dû faire effort pour m'en extirper.

     - Oh yes, le sofa est... tout abîmé. Ce sont les enfants, ils ont sauté dessus...

Le plus jeune des enfants de Jacinth, âgé de trois ans, les cheveux blonds coiffés au bol et dont la frange retombe lourdement jusqu'aux sourcils, était planté devant un dessin animé.

     - Asseyez-vous. Oh, sorry, la chaise est tout abîmée, c'est lui qui a fait ça.

Je me suis assise sur le siège en question dont, en effet, l'assise avait été totalement éventrée.

     - Oh, OK, je vais chercher des jouets pour les enfants.

Jacinth est revenue avec une imposante caisse remplie de jouets divers qu'elle a posée sur le tapis au milieu de la pièce. Son fils s'est approché, délaissant l'écran de télévision, et je me suis levée pour inciter ma fille à s'amuser avec son nouveau camarade de jeux déjà en train de fouiller parmi les jouets auxquels j'ai jeté un coup d'oeil.

Le spectacle m'a glacée d'effroi.

J'ai pourtant l'habitude des jouets de garçon, mais jamais je n'avais vu une telle collection d'horreurs. Il n'y avait que monstres articulés, dinosaures à l'allure féroce, robots effrayants, créatures répugnantes, armes diverses et figurines repoussantes. A grand peine j'ai réussi à extirper pour ma fille une petite voiture dans un état correct, ainsi qu'une tortue verdâtre qui m'ont paru être les seuls jouets ne présentant pas le risque de traumatiser à vie un enfant, et je suis retournée encore un peu tremblante prendre mon café et écouter Jacinth me parler de son benjamin.

     - Il est très dur. C'est difficile avec lui, so... je ne sais pas comment faire. Il ne parle pas, mais il crie beaucoup, and... il n'obéit pas.

Je manque d'avaler mon café de travers. Une migale poilue vient de tomber dans ma soucoupe, projetée par le gamin qui s'est mis en tête de me présenter ses jouets favoris. Tour à tour, ce sont un frankestein amputé du bras droit, un tyrannosaure rex et un serpent articulé qui surgissent sous mes yeux, agités par le fils de Jacinth, qui finit par se planter silencieusement devant moi le visage recouvert d'un masque de tête de mort.

     - Please, laisse-nous prendre le café, lui dit sa mère, que ce genre de manifestation n'a pas l'air de surprendre.

Le garçonnet retourne à ses jouets qu'il répand sur le tapis, pendant que j'essaie d'empêcher ma fille, assise sur mes genoux, de regarder le dessin animé – vous savez, la scène de Toy Story où un gamin dégénéré mutile les jouets en montant la tête d'innocentes poupées décapitées sur d'atroces araignées télécommandées.

Gentiment, Jacinth propose à ma fille et à son fils de manger quelque chose. Ma fille grignote quelques biscuits, et je décide de prendre congé de notre voisine. Son fils, lui, en est à sa quatrième danette engloutie en cinq minutes.


Et je suis partie, laissant Jacinth à ses occupations, et me demandant ce que ma fille avait pu penser de ce moment. Je lui ai alors demandé : 

     - Il est gentil, Attila ?

Parce que, j'ai oublié de vous dire, cet enfant se prénomme Attila.


Oui, c'est bien cela, comme Attila, le Fléau de Dieu...


11 commentaires:

  1. S'il s'appelle vraiment Attila, la maman a parfaitement bien choisi son prénom, il lui va comme un gant. C'est incroyable d'avoir une inspiration si prémonitoire !
    Pauvre Attila

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    1. Oui, c'est fou... Alors ceci dit, en faisant une recherche rapide, je me suis rendu compte qu'en Europe de l'Est, Attila est un grand homme qui n'a pas du tout la réputation qu'il a laissée en France. (Mais le papa est français, tout de même !)

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    1. C'est sûr que Bibiche c'est plus joli, n'est-ce pas ?

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  3. C'est triste... pour toi aussi de n'avoir pas de voisine que tu peux côtoyer plus souvent.

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    1. Oui, c'est en effet le genre de personne qu'il vaut mieux inviter sans ses enfants. Ceci dit quand elle est venue à la maison son fils était présent, et il a été tout à fait calme. Comme quoi...

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    1. Je ne souhaite pas tellement organiser la rencontre d'un pyromane et d'un gosse monomaniaque, vois-tu (surtout que le gosse habite juste à côté de chez nous...)

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  5. Et alors, qu'a répondu ta fillotte ?

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    1. Eh bien en fait elle est surtout restée sur mes genoux, mais Attila ne lui a pas fait peur (d'ailleurs à part le chien du voisin elle n'a pas peur de grand chose...)

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    2. Forcément, avec tous les frères qu'elle a, elle est rompue à toutes les situations !

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