mercredi 5 octobre 2011

Pour le meilleur et pour le pire

  Vous vous souvenez sans doute de Tante Claudine et de son tact exquis. Tante Claudine est une parente proche, du côté de Monsieur, mais c'est souvent Oncle Maurice que nous avons au téléphone. Ce n'est peut-être pas plus mal, car lorsque Tante Claudine se prend à nous passer un coup de fil, Monsieur – car c'est à Monsieur que Tante Claudine tient à s'adresser – en a pour une demi-heure au bas mot de monologue interminable rarement ponctué de quelques questions sur nos propres personnes.
  Il y a toutefois des occasions qui provoquent immanquablement une communication téléphonique de longue durée : les mariages et les enterrements. Dans les quelques jours qui suivent l'un ou l'autre de ce genre d'événement, inévitablement Tante Claudine éprouve le besoin impérieux de faire un récit exhaustif de la cérémonie en question et de la réception qui a suivi : la robe de mariée, le cercueil, la pièce montée, la mise en terre, les chants funèbres, la bénédiction nuptiale, la décoration de la salle, les couronnes de fleurs, les demoiselles d'honneur, les croquemorts, les larmes de joie, les larmes de chagrin, le cortège funéraire, l'ouverture du bal.
  Plus encore que les mariages, Tante Claudine adore les enterrements. Il faut dire qu'elle ne sort pas beaucoup, qu'Oncle Maurice et elle ne reçoivent jamais, et que par conséquent, dans un univers amical assez austère, les obsèques constituent des événements mondains de grande importance, parce qu'ils réunissent les membres de sa famille que Tante Claudine ne se donne jamais la peine d'inviter, et d'anciens amis que Tante Claudine a perdus de vue faute de leur donner des nouvelles, et parce que Tante Claudine aime les émotions fortes que lui procure toujours une inhumation. De plus, dans la plupart des cas, Tante Claudine n'a rien a faire d'autre qu'être présente, assister à la messe, à la mise en terre, et parfois au buffet, sans aucun effort de sa part.
  Même endeuillée, Tante Claudine ne laisse jamais soupçonner son chagrin. En revanche elle montre une grande curiosité pour les circonstances médicales du décès. Il ne lui suffira pas de savoir que le défunt est mort de vieillesse, passés les quatre-vingt quinze ans, elle voudra en savoir plus. Le cœur, les poumons, l'estomac ? On se demande si elle n'a pas raté une vocation médicale – en médecine légale en tout cas. Exposer les détails des dernières souffrances des trépassés ne lui fait pas peur, même à table : je me souviens de ce déjeuner où elle nous avait décrit précisément les spectaculaires maladies qui avaient emporté deux ou trois de ses connaissances en quelques mois, et en particulier de cet homme qui respirait de moins en moins bien et qui avait fini par mourir étouffé – scène mimée avec réalisme par Tante Claudine entre le fromage et le dessert.
  Tante Claudine assiste à tous les enterrements qui la touchent de près ou de loin, et, contrairement à beaucoup qui ne s'émeuvent que pour la disparition d'un proche, elle ne néglige aucune occasion plus ou moins immédiate de pleurer un mort.
  Justement, c'est bouleversée qu'elle nous a téléphoné dimanche pour nous annoncer trois décès de la plus haute importance : un ancien collègue d'Oncle Maurice vient de perdre un fils dans un accident il y a dix jours ; la belle-sœur de la voisine de Tante Claudine est décédée dans sa maison de retraite la semaine dernière, et le cousin du parrain d'Oncle Maurice a perdu sa mère vendredi. Elle a vibré pour chacun d'entre eux, nous a raconté tous les détails connus, se considérant triplement en deuil. Des deuils à la mode de Bretagne, si l'on peut dire : elle ne connaissait aucun des trois défunts.
  « La semaine a été très dure » nous a-t-elle confié.

4 commentaires:

  1. Dur, dur, dur... Quand tu penses qu'une personne meurt chaque seconde dans le monde !

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  2. Ben moi aussi je lis la rubrique nécrologique ... Mais pas tous les jours ... Ca veut dire quoi "des deuils à la mode de Bretagne" ??

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  3. quand je remonte chez mes parents je la lis aussi, t'inquietes ;)

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  4. et dire que ma mère lit la rubrique nécrologie de la voix du nord (quotidien de là haut..) tous les jours!

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