mercredi 12 octobre 2011

Une bonne adresse dans la capitale

  Ce furent les heures les plus sombres de mon histoire. Mon espace vital était menacé, plus que menacé, envahi, et seule une extermination rigoureuse et systématique m'a valu de prendre le dessus. Pourtant, seule contre une engeance pareille, je n'aurais rien pu faire, si ce n'est fuir comme réfugiée politique quelque part, abandonnant mes biens et mon territoire à l'ennemi.

  Pour vaincre, pour balayer la domination despotique de l'envahisseur, chasser l'occupant, reprendre possession des lieux, il me fallait l'appui d'une équipe de scientifiques. Des savants spécialisés dans un art délicat, maîtrisant des connaissances complexes. Et aussi, des armes. Des armes de destruction massive, des armes biologiques, des armes mécaniques, des armes de haute technologie, enfin.

  Et puis, car c'était la guerre, il m'a fallu me débarrasser de mes préjugés. Abandonner mes scrupules, mes réticences. C'était eux ou moi, et quand il est question de survie, il n'est plus de place pour l'hésitation. Ne plus voir ses ennemis comme des être vivants, se dépouiller des sentiments les plus humains, les plus naturels, et, en serrant les dents, être prêt à tout pour sauver sa peau. Aller jusqu'à tuer.

  C'était il y a six ans. Le territoire occupé, c'était les 20 m² que j'habitais alors, étudiante, dans le 14ème arrondissement. Un petit studio au premier étage, sur cour, dans un immeuble pittoresque datant de la fin du 19ème, tout de bric et de broc, dont le plancher craquait au moindre pas, avec un voisinage cosmopolite et bigarré : des italiens bruyants, des asiatiques discrets, de chaleureux concierges polonais.

  Et puis, un jour, des souris. De minuscules petites souris qui parvinrent à se glisser à travers les trous percés dans le plancher autour des tuyaux d'arrivée d'eau. Cinq centimètres de fourrure, quatre pattes, un estomac insatiable, et une intrépidité à toute épreuve. Elles avaient repéré les lieux un week-end en mon absence, apprécié la qualité de mon matelas, savouré des restes de biscuit, goûté au confort de mon appartement, et laissé partout de jolies petites traces de leur passage. Et elles avaient décidé de rester. C'est à peine si elles avaient peur de ma présence. Cinq centimètres de fourrure m'ont chassée de chez moi. Comment aurais-je pu dormir en entendant leurs petites pattes trottiner à toute allure sur ma moquette, sur ma table, jusque dans mon lit ?

  C'est alors que j'ai fait appel aux spécialistes. Les pages jaunes, un métro, une correspondance, et j'y étais. Les spécialistes ont pignon sur rue et tiennent boutique en plein cœur de la capitale. Dès que j'ai aperçu la vitrine, avec le jaune cru de sa peinture, avec ses motifs décoratifs en forme d'insectes, avec ses faux cadavres de rats suspendus dans le vide, son étalage de pièges, de flacons aux contenus mortels, de poisons et d'appâts, ses blattes factices et ses photos en gros plans de cafards et de puces, j'ai su que j'avais frappé à la bonne porte.

Cette porte, c'est celle de la science des nuisibles.

  A la science des nuisibles, on maîtrise son sujet. J'en suis ressortie le cœur plus léger, le portefeuille aussi, certes, l'esprit rempli des savants conseils du spécialiste, et un sac jaune plein d'engin de mort et de destruction.

  Je ne vous décrirai pas par quelles atrocités j'ai dû passer pour éradiquer de mon appartement la race maudite des souris. Je vous dirais seulement que je m'en suis débarrassée, au prix toutefois d'une seconde visite à la science des nuisibles, ayant eu le tort, par souci d'économie, de ne pas suivre à la lettre les prescriptions de mon fournisseur. Car je peux vous assurer que, s'il prête à sourire aux inconscients qui n'ont pas vécu l'enfer d'une invasion de rongeurs ou autres insectes répugnants, le terme de « science » n'est pas usurpé. A la science des nuisibles, on connaît les mœurs de vos ennemis dans les moindres détails, on sait leurs faiblesses, et on dispose d'un arsenal complet d'armes sophistiquées et efficaces.

  A la science des nuisibles, on rend service à son prochain. La boutique est peut-être moins glamour que celle de Boucheron, mais si je devais n'en garder qu'une, je n'hésiterais pas à sacrifier les diamants et les rubis pour un peu de mort-aux-rats.

la-science-des-nuisibles.JPG

4 commentaires:

  1. Merci pour le tuyau, ça a l'air sympa cette boutique !

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  2. Comme quoi, quand les gens ont vraiment besoin de ce que tu vends, tu peux te permettre d'avoir la devanture la plus pourrie du monde !

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  3. Confrontée au même problème récemment (horrible !), j'ai réglé cela d'une manière un peu différente : - Point d'armes de destruction massive, il a suffi de boucher les trous de souris (disons que les tapettes étaient la solution B, mais on n'a pas eu besoin de s'en servie...) - Et point de porte-monnaie allégé, en tant que locataire c'est le syndic/le proprio qui doit payer cela ! Bises.

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  4. <a href="http://21 octobre 2011 à 01:29

    Oui, le chat, pourquoi pas !

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