mercredi 17 octobre 2012

Cours alimentaire

  Lorsque j'étais petite et que je feuilletais chez ma grand-mère une ancienne édition du fameux "J'élève mon enfant" de Laurence Pernoud, je m'étonnais vaguement de ce que les deux tiers du volume étaient consacrés à l'alimentation. Allaitement maternel, mixte ou artificiel, stérilisation des biberons, quantités de lait, nombre de repas, sevrage, introduction des aliments solides, préparation des purées, petits pots et compotes maison, rations de protéines, vitamines et laitages, il y en avait pour des pages et des pages qui me paraissaient alors assez rébarbatives et auxquelles je préférais les chapitres illustrés abordant le développement de l'enfant et ses progrès mois par mois et année par année.

  Et puis un jour, j'ai eu des enfants ; et j'ai compris. Bien-sûr je le savais auparavant, mais encore abstraitement, et du jour où j'ai eu la responsabilité de faire grandir un puis plusieurs "nourrissons" – le terme est éloquent – j'ai compris pleinement qu'élever un être en pleine croissance c'est, avant toute chose, le nourrir.

  Je suggèrerais donc à Laurence Pernoud de rajouter à la prochaine édition de son ouvrage un petit avertissement sur la journée-type de ses lectrices :

  Dès que le réveil sonne, vous filez à la cuisine préparer le petit-déjeuner, remplir les verres, les tasses, bols ou biberons, mettre en marche le grille-pain et la bouilloire. Pendant que l'eau bout ou que le lait chauffe, vous finissez la vaisselle de la veille, préparez le goûter de dix heures des écoliers, ainsi que les tupperwares de votre conjoint s'il emporte son déjeuner sur son lieu de travail, et remplissez le lave-vaisselle. Une fois le petit déjeuner servi et débarrassé, vous ouvrez votre réfrigérateur et commencez à réfléchir à ce que vous allez bien pouvoir servir au déjeuner. Vous passez à la boulangerie, et, si votre réfrigérateur est vide, vous faites vos commissions. A vos moments perdus, vous pouvez chercher de nouvelles recettes sur Internet, réfléchir au menu que vous servirez à vos invités le week-end prochain, et compléter votre liste de courses pour votre prochaine sortie au supermarché. Vous n'oubliez pas de vider le lave-vaisselle, de mettre le couvert, et, tandis que le déjeuner mijote vous réfléchissez déjà au menu du dîner. Trois heures après la fin du déjeuner (y compris la vaisselle), vous servez un goûter reconstituant à vos enfants puis, trois heurs plus tard, vous vous occupez du dîner, en deux services bien souvent si vos enfants sont encore petits. Vous rajoutez à cela, selon l'âge du plus jeune d'entre eux, jusqu'à sept ou huit biberons ou tétées par jour, quelques purées, compotes ou petits pots donnés à l'aide d'une minuscule cuiller. Le soir venu, pour terminer la journée, vous dressez la table du petit déjeuner du lendemain, et vous pouvez enfin vous détendre, avec la satisfaction de savoir tous les estomacs repus, devant un concours culinaire télévisé par exemple, en vous demandant tout de même comment vous pourriez rassasier votre famille avec une raviole de fane de radis, son émincé de petit pois, et trois gouttes de jus de caille farcie à la menthe déposées à la pipette.

   Vous aurez l'impression d'avoir sans cesse une partie de votre cerveau connectée à votre réfrigérateur, vous aurez souvent des absences en pleine conversation quand vous vous demanderez soudainement : "Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire à manger ?", vous investirez, au choix, dans une paire de gants de vaisselle ou dans une bonne crème hydratante pour les mains, vous aurez quelque part dans votre cuisine une liasse de recettes imprimées, découpées dans des journaux, ou griffonnées à la va-vite, vous aurez toujours à portée de la main un papier où noter ce qui vous manque et que vous devrez acheter prochainement, vous connaîtrez par cœur dix recettes de desserts, vous pourrez cuisiner un gratin de pâtes ou une mousse au chocolat les yeux fermés.

   Mais quand vos enfants réunis autour de la table familiale, les yeux brillants et le menton couvert de tâches marron, déclareront en chœur qu'il n'y a pas de meilleur fondant au chocolat que le vôtre, vous oublierez  jusqu'au moule à manqué qui attend d'être lavé au fond de l'évier, pour vous réjouir en les voyant heureux et bien portants.

6 commentaires:

  1. Les enfants me regardent surprise lorsque je m'écrie après le déjeuner (ou le dîner) : "Ouf, encore un repas de moins à faire dans ma vie !" Mon fils étudiant m'a dit qu'il comprenait à présent la portée de ma maxime !

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  2. Et moi, et moi, et moi ? (je parle du fondant...)

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  3. Pourquoi est-ce que je me reconnais? Malgré tout, les repas ne sont pas évidents chez nous, numéro 1 fait la comédie à peu près systématiquement. J'essaye d'appliquer ce que dis le Dr Lemoine dans "Transmettre l'Amour". Connaissez-vous?

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  4. J'ai lu le Laurence Pernoud aussi, mais je demande si elle n'avait pas 3 ou 4 domestiques, après avoir lu ton texte. Les mamans sont les seules héroïnes que je connaisse.

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  5. Bien d'accord avec Stiop, c'est de l'héroïsme au quotidien ! On a vraiment l'impression de ne faire que ça mais quel bonheur quand ça rend nos enfants heureux, toute notre peine est récompensée largement.

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  6. <a href="http://19 octobre 2012 à 18:22

    C'est un jeu de mot ?

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