mercredi 10 octobre 2012

Le bateau triste

  Mon fils cadet âgé de quatre ans a reçu récemment en cadeau un livre pour enfant intitulé « Le petit bateau de Petit Ours ». Le propos paraissait attrayant, les illustrations plutôt jolies, ce qui n'est pas automatique dans le domaine de la littérature enfantine, et, sur la demande insistante de mon fils, j'ai commencé à lui lire l'histoire sans en avoir pris connaissance auparavant – contrairement d'ailleurs à mes habitudes.

  Petit Ours, comme vous l'aurez compris, possède un petit bateau, une mignonne petite barque rouge. Petit Ours aime beaucoup son embarcation. Il fait le tour du lac, il pèche, il rame, il s'y repose bercé par les flots, bref, il y connait le bonheur le plus pur et le plus parfait. Mon fils semble charmé par ce récit et m'écoute avec plaisir et attention.

IMG 2662Jusqu'au moment où nous découvrons que Petit Ours se met à grandir. Je vous passe les détails, mais le petit bateau de Petit Ours devient de plus en plus étroit, au point qu'un jour Petit Ours manque de s'y noyer. Petit Ours comprend alors qu'il ne pourra plus jamais monter dans son petit bateau. Il en est très malheureux ; quant à mon fils, j'ai eu la surprise de le voir éclater soudainement en sanglots.

  J'en ai été quitte pour le consoler en tâchant d'inventer un autre dénouement à cette charmante histoire avant de faire disparaître au fond d'un placard ce livre que mon fils s'est bien gardé de me réclamer. Bien-sûr, Petit Ours ne reste pas éternellement malheureux : il comprend qu'il a grandi, que c'en est fini de son charmant petit bateau rouge et du bonheur qu'il lui procurait, mais il décide de le donner à un autre petit ours et s'en va de son côté construire un grand bateau. Pourtant, si j'en juge par les réactions de mon fils, cette fin ne suffit pas à effacer le caractère douloureux de ses péripéties.

  Il faut dire que je le comprends... Le petit bateau rouge, c'est la joie de cet enfant ours, c'est tout ce qui fait le charme de ses tendres années, et voilà que tout à coup l'instrument de son bonheur, la substance même de sa vie, l'âme de son enfance, se transforme en piège redoutable où il manque de trouver la mort.

  Parce qu'il a grandi, Petit Ours n'a pas le choix : sous le regard intransigeant de sa maman, il doit se départir de ses goûts, de ses rêves, de ses plaisirs, de ses joies. Parce qu'il a grandi, il doit se dépouiller de ce qu'il aimait, de ce qu'il était, car il est devenu un grand Ours, et Petit Ours qu'il était n'est plus.

« Le destin d'un petit ours est de grandir et de devenir un grand ours. Le destin d'un petit bateau est de rester un petit bateau. C'est ainsi. », assène sans ménagement Maman Ours à Grand Ours – car Petit Ours doit abandonner jusqu'à son propre nom.

  Reconnaissons à l'auteur le talent d'avoir réussi, dans cette fable imagée, à transmettre à la perfection ses idées à son jeune public et à mon fils en larmes en particulier, à qui la dureté et la cruauté du récit n'ont pas échappé, toutes voilées qu'elles soient derrière le style allégorique et les illustrations naïves.

  Je le souhaite à mon fils, comme à tous les enfants, qu'il puisse grandir sans étouffer en lui l'enfant qu'il est, mais au contraire en conservant précieusement ce qui fait l'âme de l'enfance : sa pureté, son imagination, sa candeur, son innocence, sa poésie et sa confiance ; que le petit bateau grandisse et devienne, plutôt qu'une épave sombrant dans l'abîme, un fier voilier voguant sur les flots.

9 commentaires:

  1. J'avais interdit à mes enfants de grandir, je voulais les garder pour moi dans ce schéma de pureté innocente. Ils ne m'ont pas obéi. Le temps passe, ils échappent à mon influence et conquièrent leur autonomie. Que faire ?

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  2. Nous avions emprunté ce livre à la bibliothèque mais mon fils était bien plus jeune. Cela dit, je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle et je trouve finalement que ce que vous dites est très vrai. Merci pour cette critique!

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  3. Pauvre petit gars, si triste à cause d'un bateau. C'est vrai qu'il y a des histoires qui désenchantent. ça m'arrive régulièrement de me faire avoir avec des livres de la bibliothèque. C'est comme les contes traditionnels qui ne sont finalement lisibles qu'à partir de 6 ans minimum ( et encore...) (je pense à Blanche-Neige, Cendrillon, le Chat Botté, Hansel et Gretel...

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  4. Tiens, c'est drôle, je me demandais justement où était passé mon petit bateau rouge, tu ne l'aurais pas vu par hasard ?

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  5. Comme toi, j'ai toujours essayé de lire les livres de les donner à mes enfants. Le pire dont je me souvienne, c'est celui du poisson arc-en-ciel qui ne peut se faire des amis qu'à condition de se défaire de ses belles écailles. Il ressemble alors à tous les autres. Quelle moralité ! Mes enfants n'ont pas pleuré, mais j'ai toujours refusé de leur lire la vraie histoire. Stiop, il y a un âge pour tout. Un âge de l'innocence qui est à préserver, puis un âge moins innocent qui est à seconder. Ensuite ils peuvent être forts pour appréhender le monde !

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  6. Le sujet ici, ce serait finalement quelle attente peut on avoir face à la lecture destinée à nos enfants ? Comme le disait très justement l'une de nous, les comtes traditionnels sont parfois tout aussi cruels, mais en ce qui me concerne, je vois là un passage nécessaire pour aider les enfants à grandir. Pour moi il me paraît plus traumatisant de laisser son enfant croire que le monde est celui des bisounours. Je ne dis pas de le laisser devant des films d'horreur non plus, mais la lecture et les réactions de nos enfants doivent être pour les mères (pères) l'occasion de dialoguer des peurs de nos enfants.. et de les aider à les combattre !

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  7. Il y a un âge pour tout, et vouloir précipiter les enfants trop vite dans un monde d'adulte n'est pas forcément bon pour eux. Les contes de fées peuvent être cruels, mais ils finissent bien ! C'est ce qui fait toute la différence.

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  8. <a href="http://28 janvier 2014 à 19:53

    Oui, il vaut mieux les parcourir avant si on en a la possibilité.

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