dimanche 31 juillet 2011

Confusion

  Un ami m'a demandé un jour si je pouvais lui conseiller un ouvrage sur la mendicité. La question m'a fait sourire, mais il cherchait tout simplement une sorte de guide de la générosité, lui qui se posait, comme d'autres, la question de savoir à qui donner, que donner, et dans quelles circonstances. Mais à ma connaissance, « l'aumône pour les nuls » n'a encore jamais été édité.
  Je le regrette, étant donné que j'ai régulièrement l'occasion de croiser, dans mon quartier, toujours au même endroit, toujours dans les mêmes circonstances, une mendiante avec qui j'ai fini par échanger quelques mots. D'une cinquantaine d'années, vêtue quelque soit la saison du même imperméable gris-beige, parlant bien français, elle se contente de présenter ses mains vides et jointes aux passants sans jamais se rendre insistante ou, a fortiori, agressive. Comme elle me l'a dit elle-même, elle ne fait rien de mal en quêtant ainsi, ceux qui veulent lui donner donnent, et les autres passent leur chemin.
  De temps en temps elle m'arrête pour me dire un mot, m'expliquer qu'elle a froid, ou qu'elle n'a rien mangé depuis le matin. Les larmes aux yeux, elle me confie qu'elle rêverait d'une paire d'après-ski, ou bien elle me montre ce qu'une âme généreuse lui a offert – une couverture, ou une image de Sainte Rita pour qui elle a une ardente vénération. Parfois, moins affamée peut-être, souriante, elle me demande des nouvelles des « petits cocos » - mes enfants. J'échange quelques paroles, que j'essaie de rendre encourageantes, sans m'attarder néanmoins, et parfois je lui laisse un petit quelque chose, dont elle me remercie avec effusion. Le plus souvent, au contraire, après un sourire parfois gêné, je continue mon chemin sans rien lui donner, redoutant, peut-être un peu égoïstement, de créer une habitude dont je ne pourrais me défaire qu'avec difficulté.
  Ce matin, comme à chaque fois, je suis passée devant elle. A ses côtés se tenait un autre mendiant, plus jeune, que je n'avais jamais vu auparavant. Alors que, comme d'habitude, la pauvre femme me salue, et que je lui rends son bonjour, son confrère dans l'ordre de la mendicité m'interpelle en me demandant l'aumône d'une façon relativement pressante et assez insistante. Je m'éloigne sur un petit signe de tête en guise de refus, et j'entends alors derrière moi la mendiante, ignorant que je l'entendais, prendre ma défense :
« Elle, elle ne peut pas. Je la connais, elle est très gentille. Elle ne le dit pas, mais elle ne peut pas ».
  J'ai continué ma route mais je n'ai pu m'empêcher de repenser à ces paroles, à la fois touchée par l'attitude quasiment protectrice de cette mendiante à mon égard, et comme un peu confuse qu'elle ait pu croire – ce que pourtant je n'ai jamais essayé de lui faire penser – que je n'avais pas le moindre centime à lui donner.

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