dimanche 20 novembre 2011

Ma meilleure ennemie (1/3)

  Elle s'appelait aussi Élise, mais les sentiments que j'avais pour elle n'avaient rien à voir avec ceux que j'avais quelques années auparavant pour l'amie qui portait le même prénom. Cette deuxième Élise habitait comme moi une chambre d'étudiante dans le même foyer de jeunes filles pendant mes deux années de classes préparatoires, il y a dix ans. Toutes les deux, ayant passé notre bac, nous nous retrouvions loin de nos familles pendant toute la durée de la semaine, dans le même couloir de « la maison », l'un des différents bâtiments qui s'articulaient autour du magnifique jardin du foyer Sainte Anne, en face de la petite chapelle en brique sur le flanc de laquelle donnaient nos fenêtres.

   Le lycée où nous suivions nos exigeantes études proposait un internat pour garçons, mais, faute de place, les filles n'y étaient pas logées, et un certain nombre d'entre elles se retrouvaient, comme Élise et moi, au foyer Sainte Anne qui présentait le grand avantage de se situer, rue Bienheureuse, juste en face du lycée.

   Dans cette ambiance studieuse et austère, que ce soit celle de nos études ou celle, feutrée, du foyer, dirigé par une religieuse d'un certain âge déjà, Sœur Lucie, davantage soucieuse de la bonne tenue de son établissement que de l'instauration d'un climat amical entre les pensionnaires dont elle préférait prévenir la dissipation et la mauvaise conduite, Élise et moi nous sommes mises tout naturellement à parcourir ensemble le court chemin entre le foyer et le lycée, à déjeuner immuablement à la même table en compagnie des deux ou trois autres locataires de notre extrémité de couloir, à nous retrouver à nouveau dans les mêmes conditions pour le dîner. Nous étions aussi inscrites dans le même groupe de Khôlles* et subissions donc ensemble nos deux oraux hebdomadaires tout au long de l'année.

   Je l'avoue, ce fut agréable, en cette rentrée bien particulière, de trouver une compagnie avec qui travailler et me distraire. Au début de l'année nous jouions quelques minutes au ping-pong sur une vieille table dans l'ancienne salle de théâtre abandonnée et poussiéreuse du foyer, et nous finissions la soirée en bavardant tout en nous servant une boisson chaude entre 21h30 et 22 heures dans ma chambre, au grand dam de notre voisine du dessus, Denise, ancienne du foyer depuis des années, et devenue d'ailleurs une sorte de kapo de Soeur Lucie à qui elle n'avait pas hésité à nous dénoncer pour « tapage nocturne » – mais c'est un autre sujet, et Denise mériterait un article à elle seule. Quoi qu'il en soit, j'étais plutôt satisfaite de trouver en Élise une compagnie et une source de distraction au milieu de notre emploi du temps chargé, de l'austérité de notre vie de pensionnaires, moi qui n'avais pas encore dix-huit ans, et qui n'avais jamais quitté le domicile familial auparavant.

   Nous retrouvions souvent Amélie, une très bonne amie qui venait de la même ville que moi, et qui était élève dans la même classe que nous. Malgré nos liens d'amitié forgés entre la seconde et la terminale, Amélie avait choisi un autre foyer pour se loger, en raison de la mauvaise réputation gastronomique des menus du foyer Sainte Anne, mais je la soupçonne d'avoir surtout préféré un établissement non confessionnel, et peut-être aussi, d'avoir cherché à mettre un peu de distance entre nous au moment d'intégrer un nouveau lycée et une nouvelle classe.

   Malgré tout, Amélie me rendait souvent visite au foyer Sainte Anne et c'est donc tout naturellement qu'Élise et elle se lièrent d'amitié par mon intermédiaire.

 

 

* Interrogations orales ayant pour but d'entraîner les candidats aux épreuves orales des concours des grandes écoles

 

(A suivre)

1 commentaire:

  1. Quelle impatience ! Ca y est, la suite est en ligne.

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