lundi 7 novembre 2011

Lundi matin

  Il approche de la quarantaine, marié, père de deux enfants bien portants qu'il dépose un jour sur deux, l'un à la crèche et l'autre à l'école. C'est d'ailleurs devant la porte de l'école que nous avons sympathisé et nous les avions reçus, sa femme et lui, pour une soirée qui nous a laissé de très bons souvenirs à eux comme à nous. Leur maison récemment acquise, quoiqu'encore en travaux, est confortable, j'y ai pris un goûter au printemps dernier en compagnie de son épouse, encore en congé parental à l'époque. Ses enfants et les nôtres s'étaient bien amusés dans le jardin.

  Pourtant Xavier n'est pas toujours très détendu. Déjà, ce jour-là, où je passais l'après midi chez eux, je bavardais tranquillement avec sa femme, sur la terrasse, au soleil, satisfaite du bon moment que je passais, quand tout à coup Xavier, dont j'ignorais qu'il pouvait rentrer à 16h30, a débarqué, l'air sombre, soucieux, préoccupé par sa journée de travail. Aussi étonnant que cela paraisse, ma présence n'a pas suffi pas à le dérider. Avisant son air tracassé, avec la soudaine et désagréable impression de gêner, j'ai jugé bon d'avaler le fond de mon verre de jus de fruit, de rassembler mes troupes et de lever le camp le plus rapidement possible. Xavier n'a d'ailleurs pas insisté pour me retenir et nous a raccompagnés à la porte - les sourcils toujours froncés.

  Mais en réalité, Xavier n'avait pas spécialement passé une mauvaise journée. En fait, il est toujours contrarié. Toujours soucieux, toujours préoccupé. Avec toujours la même contracture éloquente des muscles para-sourcilliaires.

  D'ailleurs, au mois de juin dernier, Monsieur l'avait constaté en allant donner un coup de main le jour de la fête de l'école. Xavier s'était fait refiler, un peu contre son gré, lui aussi, la charge d'installer les jeux pour les enfants. Il avait passé une bonne demi-heure à se demander anxieusement où placer le stand « pêche aux canards » et à avancer le bassin et le parasol de cinquante centimètres dans un sens puis dans un autre, reculant pour juger de l'effet obtenu, incapable de se décider, écrasé par l'ampleur de la tâche et la lourdeur de ses responsabilités.

  Je crains donc un peu de le rencontrer, ce qui m'arrive pourtant, le matin, à l'école. J'ai eu le tort de lui demander il y a quelques semaines des nouvelles de la reprise du travail pour son épouse. « Ouh la la ! Tu verras quand ce sera ton tour ! » m'a-t-il lancé, sarcastique, me jetant un coup d'œil entendu et amer.

  La fois suivante, j'ai donc décidé d'aborder un autre sujet. « Hugo est content de sa rentrée ? » Air sombre, soupir. « Oui. Enfin, non, ça n'a pas été très facile ».

  Après deux ou trois expériences du même genre, j'ai jugé bon de me contenter, hier matin, d'un simple : « Comment vas-tu ? » le plus enjoué possible. Malgré l'insignifiance de la question, le froncement de sourcil s'est accentué, l'expression s'est faite plus sombre, le ton grave : « Comme un lundi ».

  Je peux vous dire que, n'ayant pas la chance de le croiser le samedi ni le dimanche, j'ai parfois l'impression que la semaine de Xavier comprend au moins cinq lundis.

  Il y a des vies plus lourdes à porter que d'autres.

4 commentaires:

  1. Il serait même capable de ne pas sourire à la lecture de ce très bon article ?

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  2. A moins qu'il ne souffre d'angoisses et de toc, car malheureusement je reconnais là un schéma typique

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  3. Enquête à mener pour en savoir plus...

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  4. Oui, ça n'engage que toi ! (Tout de même !)

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